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que M. Charles Rosenkranz, le disciple le plus éminent et le plus autorisé du grand maître, eût cru devoir publier un véritable manifeste intitulé : Ma réforme de la philosophie de Hegel, car qui donc des élèves et des auditeurs qui se pressaient avant 1848 autour de la chaire de cet illustre et bienveillant professeur à Kœnigsberg aurait jamais supposé qu’un temps viendrait où M. Rosenkranz admettrait la possibilité, voire la nécessité d’une réforme quelconque dans la « doctrine des doctrines ? » L’ingénieux réformateur eut beau toutefois s’imposer des sacrifices énormes, arracher les pièces les plus essentielles de la construction, jeter par-dessus le bord toute l’ontologie hégélienne, — avec ce Dieu qui ne se connaît pas d’abord, et qui n’atteint que dans l’esprit de l’homme la conscience claire et complète de son être ; — il ne put empêcher le navire de sombrer : vaisseau majestueux cependant, qui avait exploré plus d’une région inconnue, avait même fait le tour de l’infini ! A l’heure qu’il est, le désarroi de l’école hégélienne est à peu près consommé, et si la philosophie en général trouve encore des adeptes dévoués et persévérans, comme MM. Herman Fichte, Ulrici, Weisse, Chalybaeus, etc., ils se renferment presque tous dans le domaine spécial de l’éthique, de l’anthropologie, de la psychologie, et ne prétendent plus posséder l’absolu. Rien de plus caractéristique aussi à cet égard que certaines réhabilitations qu’ont rencontrées dans les derniers temps quelques noms oubliés de la génération spéculative d’avant Hegel, quelques disciples de Kant voués auparavant au dédain. Qui se serait douté que le bon et doux Krause, l’adversaire décidé de tout formalisme et de toute abstraction, aurait encore un retour de faveur, et que sa philosophie des buts de la vie (philosophie der lehenszwecke) serait remise en honneur par des autorités respectables, surtout dans l’école des économistes, parmi lesquels il faut citer en première ligne M. Ahrens ? Et qu’elle est curieuse aussi, l’apothéose posthume dont ce pauvre Schopenhauer est maintenant l’objet, et qu’elle semble bien justifier l’amère parole de ce même penseur, qui se comparait un jour ironiquement aux saints, « dont on attendait la mort pour les canoniser ! » De sa vie en effet il n’est jamais parvenu à faire du bruit, à exciter même l’attention. C’était pourtant un esprit assurément rare et ingénieux : ses Parerga et ses Paraleipomena attestent les qualités d’un écrivain hors ligne. J’écris pour être compris, avait-il dit dès la première page de son premier livre, et ce livre, qui est resté son œuvre capitale, il date de 1819 ! Mais il s’était posé dès le début comme l’adversaire irréconciliable de la spéculation « phénoménale, retournée, arlequinesque » de l’absolu ; il ne tarissait pas d’invectives et de persiflages contre Hegel, le professeur « hypertranscendant et acrobatique qui a eu le malheur de