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à une nouvelle épreuve (Neue Prüfung), épreuve sagace et nullement partiale, les principes prêches auparavant avec tant d’enthousiasme. Après être resté dix ans dans l’ombre, M. Waldeck, le chef éminent de la phalange démocratique dans la ci-devant constituante de Berlin, reparaît de nouveau dans les chambres prussiennes, étonne et charme à la fois le public par une déclaration constitutionnelle dont personne n’ose suspecter la sincérité, et en même temps le plénipotentiaire de Bade près du Bundestag, le savant M. Robert de Mohl, le ferme défenseur de la monarchie tempérée, consent à parler avec respect et sympathie des institutions américaines. Dans tout le reste de l’Allemagne, aussi bien qu’en Prusse, le grand parti progressiste tend à absorber en lui les diverses nuances du libéralisme, et tout le monde reconnaît la nécessité de la forme monarchique, pourvu qu’elle veuille se prêter aux exigences d’une société démocratiquement organisée. Ce n’est point pourtant que cette fusion ne cache parfois plus d’une équivoque inquiétante, et que ce nom de démocratie, trop aisément et trop généralement admis, n’ait son côté bien dangereux ; ce n’est pas que les progressistes, une fois maîtres du terrain, n’usent peut-être encore un jour envers l’institution monarchique du même procédé de « nullification » dont avait usé le parti de la croix envers les institutions libérales ; ce n’est pas enfin que les dissidences, aujourd’hui effacées ou dissimulées au sein du grand parti libéral, ne dussent ressortir à un moment donné d’une manière beaucoup plus tranchée et même très hostile. La disparition de l’esprit radical n’en reste pas moins le signe marquant et irrécusable de la situation morale de l’Allemagne de nos jours, et ce phénomène éclate surtout dans la sphère intellectuelle, — la seule du reste où le génie de la nation ait pu s’exercer librement depuis la réaction de 1848 et laisser son empreinte.

Ceux-là, il est vrai, qui professent le culte exclusif de l’art pour l’art et de la science désintéressée de la vie, ceux-là ne se défendront peut-être pas de quelques pensées de désenchantement et de récrimination à l’aspect que présente aujourd’hui le mouvement littéraire en Allemagne ; ceux-là pourront bien y regretter l’Olympe aérien d’autrefois, où les idées et les systèmes, comme les déesses ailées d’Homère, traversaient l’infini sans jamais toucher terre ; ceux-là constateront sans doute avec déplaisir la persistance de la pensée politique et patriotique dans les travaux les plus graves de la science, et, selon le mot connu de Goethe, « ils sentiront l’intention et demeureront affligés. » Disons-le aussi et tout de suite : à un bien petit nombre d’exceptions près, — l’Histoire romaine de M. Mommsen par exemple, — l’Allemagne de nos jours, celle d’après