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que leur avait créés la crise de 1848, on est d’autant plus porté à rendre justice et hommage à la nation allemande, qui, elle du moins, n’a pas laissé échapper tout à fait sans profit la douloureuse expérience de cette époque. On ne saurait en effet trop tenir compte, en vue des complications et des transformations qui attendent encore notre siècle, des étonnans progrès que l’esprit public a faits parmi les peuples d’au-delà du Rhin dans les dix dernières années. Sans doute il est loin d’y avoir encore atteint une maturité complète, de s’être affranchi de toutes les illusions pernicieuses et des ambitions extravagantes ; mais il n’en est pas moins arrivé à un degré d’épuration et d’intensité qui mérite d’être signalé, qui mériterait peut-être aussi d’éveiller les soucis de tout homme d’état véritablement préoccupé de l’avenir et des intérêts généraux de l’Europe.

Ce qui frappe dès l’abord dans l’état moral de l’Allemagne contemporaine par rapport au temps qui a précédé la révolution de 1848, c’est la déconsidération générale où y sont tombées les tendances anarchiques d’autrefois, le discrédit complet du radicalisme aussi bien dans la sphère de la pensée que dans celle de l’action. Les grands meneurs de la démagogie de l’époque précédente, les Hecker, les Hervegh, les Struve, les Ruge, les Held, y ont perdu toute influence, n’y comptent plus d’adeptes, y existent à peine à l’état de souvenirs, et l’auréole même de l’exil n’a pu leur rendre une popularité à jamais perdue. Les théories socialistes, communistes, phalanstériennes, qui faisaient autrefois les délices de la Gazette de Trêves, inspiraient les Grün, les Engel, et étaient le reste de sa raison au candide Waitling, les profondes antinomies de M. Proudhon, qui s’accordaient si bien avec la sagace philosophie de M. Stirner, ne provoquent plus que le sourire, même chez le plus « résolu » des hommes du progrès (entschiedener fortschriltsmann), et il a décidément disparu de la scène ce pauvre tailleur de Berlin, membre de l’un des innombrables gouvernemens in spe de 1848, qui déclarait au professeur Adolphe Stahr vouloir résoudre absolument la question sociale, dût-on y passer toute la nuit !!… Cherchez les incorruptibles et les intraitables (unbedingte) qui ne voulaient autrefois rien entendre aux « lâches compromis, » et proclamaient énergiquement la république « avec toutes les conséquences » que nous savons : vous les rencontrerez encore dans l’exil peut-être, en Suisse, en Angleterre, en Amérique ; vous ne les trouverez presque plus sur les bords de la Sprée, du Rhin, du Mein ou du Neckar. Après un long séjour en Amérique, M. Jules Froebel, l’ancien membre de l’extrême gauche à Francfort, l’ancien auteur du Système de politique sociale, revient désabusé, mûri, pour soumettre