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d’un lecteur, mais qui ne tarderont pas à être reconnues un jour, — l’Autriche fut certes bien loin de les entrevoir au sortir de l’époque révolutionnaire de 1848, et la seule moralité qu’elle sut tirer des dangers immenses qu’elle avait courus alors, ce fut tout simplement le regret de n’avoir pas réalisé jusque-là l’unité de ses états et de ses peuples si divers d’après les principes de l’absolutisme moderne. Un des griefs principaux des législateurs de Saint-Paul contre l’empire des Habsbourg a été, on s’en souvient, sa négligence coupable dans la grande œuvre de la germanisation de ses possessions non allemandes, sa lenteur excessive dans l’absorption des « élémens hétérogènes ; » l’Autriche ressentit douloureusement ce sanglant reproche, et fit depuis tout son possible pour ne plus le mériter. M. de Schwarzenberg inaugura donc ce système de centralisation à outrance qui ne fut que trop fidèlement suivi par son successeur M. Bach, et qui consistait à passer le crible de la bureaucratie allemande sur tout ce qui ressemblait de près ou de loin dans le vaste empire à une vie nationale, provinciale, autonomique, à fouler aux pieds les droits séculaires auxquels étaient attachés les souvenirs les plus chers des peuples, à supprimer la constitution de Hongrie, à effacer d’un seul trait les privilèges du Banat, à introduire tout d’un coup la langue allemande comme l’unique organe d’enseignement dans l’antique université de Cracovie, sous le plaisant prétexte que l’idiome polonais (l’idiome de Skarga, de Miçkiewicz, du poète anonyme !) n’avait pas « de formes grammaticales bien développées, » à déraciner en un mot partout mœurs, coutumes, traditions, et à ne laisser debout que l’employé, On passa dix ans à ce travail de nivellement impitoyable, impolitique, pour arriver finalement au néant et à l’abîme. Au moment du danger, à l’époque de la guerre, et alors qu’il fallut faire usage des forces nationales si laborieusement « assimilées » et disciplinées, on se trouva tout à coup en face des peuples froissés, désaffectionnés, hostiles, et les Croates eux-mêmes, — ces compagnons dévoués de Jellachich qui, il y a dix ans, étaient allés à l’assaut de Vienne avec une fidélité si enthousiaste, — ne donnèrent que mollement à la bataille de Solferino !

À voir le peu d’intelligence dont firent preuve les gouvernemens de Vienne et de Berlin (et à leur suite presque tous ceux de la confédération germanique) dans l’appréciation des intérêts et des devoirs