Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vers la même époque eut lieu un autre incident qui excita également et au plus haut point l’opinion publique. Cette fâcheuse affaire de Techen et de ses complices, accusés de vols de dépêches, n’a jamais été bien éclaircie ; mais ce qu’on en a pu apprendre dans le temps laissa entrevoir un tissu inextricable d’intrigues qui se tramaient dans l’entourage du roi. On sut que les serviteurs du monarque s’espionnaient mutuellement, que M. de Gerlach faisait dérober des documens à M. de Manteuffel, et que M. de Manteuffel ne reculait pas devant des moyens peu avouables afin d’avoir le cœur net au sujet de certains plis mystérieux qui arrivaient de l’étranger directement au roi par l’entremise de M. de Gerlach. Ce pauvre « bourgeois » de Berlin et de Kœnigsberg, tant maltraité depuis une certaine époque, ne comprit plus rien à une « chevalerie » qui se jouait si lestement des préceptes de la simple loyauté, et il eut encore à gémir sur la perte de sa dernière illusion au sujet de la proverbiale incorruptibilité de l’employé d’état en Prusse. Il gémissait aussi, et depuis longtemps, sur l’esprit piétiste et intolérant qui envahissait de plus en plus l’église, et sur l’étrange interprétation que subissait l’article 15 de la charte (qui stipulait la liberté de toute communauté religieuse) tantôt de la part du ministre des cultes, M. de Raumer, tantôt de la part du « conseil supérieur ecclésiastique » (oberkirchenrath), institué dès 1850. M. Stahl, qui faisait partie de ce conseil, ne voulait aucunement attenter à la liberté de conscience ; mais, « la conscience étant essentiellement une chose individuelle, » il s’agissait de savoir, disait-il, si une communauté pouvait réellement prétendre à une conscience religieuse, alors surtout qu’elle n’avait en sa faveur ni la révélation divine ni la tradition historique ! Les dernières années du règne de Frédéric-Guillaume IV furent, à l’instar des premières, signalées principalement par des luttes acharnées de. théologie qui eurent même leur retentissement à l’étranger. La polémique devint surtout ardente et grave alors que contre les doctrines inquisitoriales de M. Stahl parurent les Signes du Temps du docteur Christian Josias Bunsen, le savant célèbre, l’ancien ami du roi, l’ancien ambassadeur à Londres, qui avait dû quitter le service à la suite de la disgrâce de l’héritier présomptif, et c’est ainsi que la discussion religieuse servit à ramener par un autre côté l’attention publique vers le.prince royal, qu’on savait peu favorable aux tendances pétistes.

Enfin, et pour résumer les faits principaux des derniers temps du règne de Frédéric-Guillaume IV, il nous reste encore à mentionner la malencontreuse échauffourée de Neuchâtel (septembre 1856), qui faillit un moment devenir une grave question européenne. Dérision amère du sort ! le monarque qui avait refusé la couronne impériale,