Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

droits de la grande patrie commune, et poser les premiers jalons de la question italienne…


III

Si la guerre d’Orient n’a laissé d’autre trace dans la politique extérieure de la Prusse qu’une agitation stérile et décevante, elle n’en marque pas moins une mémorable époque dans l’histoire intérieure du même pays, car c’est d’elle que date pour ainsi dire l’avènement du prince de Prusse dans l’opinion publique. Le frère de Frédéric-Guillaume IV ne fut placé nominalement à la tête du pouvoir qu’à la fin de 1857, et réellement qu’une année plus tard. Ce n’est enfin qu’au commencement de 1861 qu’il prit le titre de roi ; mais il régna sur les esprits dès 1854, et la nation l’acclama alors comme le représentant de ses véritables intérêts, comme la promesse d’un meilleur avenir. Elle lui sut gré de l’attitude qu’il avait prise dans les complications orientales, de la politique décidée et anti-russe qu’il n’avait cessé de recommander ; elle lui sut gré surtout de la disgrâce qu’il encourut pour cette cause auprès du parti féodal, disgrâce où furent enveloppés aussi ses amis, des hommes tels que MM. de Bonin, de Bunsen, d’Usedom. Le pays saisit la première occasion de témoigner ses sentimens envers l’héritier présomptif, et des manifestations significatives eurent lieu le 11 juin 1854, anniversaire du mariage, du prince. Quatre-vingt-dix députations, venues de tous les points de la monarchie, lui apportèrent de riches présens ; les premiers peintres allemands rivalisèrent de zèle et de talent pour offrir au couple auguste un album magnifique. Le soir, la capitale était illuminée, et le prince, accompagné de sa femme et de ses deux enfans, assistait à une fête donnée en son honneur par la ville de Berlin, où se trouvaient réunis près de trois mille notables ; les autres membres de la famille royale s’étaient abstenus de paraître à cette solennité. Ce n’est pas toutefois que le prince de Prusse eût voulu faire au gouvernement une opposition déloyale et subversive : seulement son attitude donnait raison à ceux qui le croyaient peu favorable aux tendances en honneur à la cour ; il se tint désormais loin des affaires et fixa son séjour dans les provinces rhénanes. Il ne put cependant empêcher que l’opinion libérale ne reportât vers lui ses regards. Ne comptant plus triompher du courant contraire tant que Frédéric-Guillaume IV occuperait le trône, elle ajourna résolument ses espérances et son action à une époque vraisemblablement prochaine et nécessairement liée au nom du prince royal.

Dans cet état de lassitude à la fois et d’attente, le pays semblait