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hommes d’état éclairés, MM. de Bunsen, de Pourtalès, d’Usedom, le général de Bonin, ministre de la guerre, partageaient des sentimens pareils, et bientôt on apprit avec satisfaction que le prince de Prusse lui-même, l’héritier présomptif, était à la tête de ce groupe d’élite qui demandait à profiter des circonstances et à recueillir les fruits d’une coopération si ardemment désirée par les puissances occidentales. Les alliés attachaient en effet un prix immense à l’accession de la Prusse : la position géographique de cet état eût permis d’attaquer la Russie par le vrai défaut de la cuirasse, eût permis de poser même la question de la Pologne, et il est avéré maintenant que l’Autriche aussi bien que la Suède faisaient dépendre de cette dernière circonstance leur participation active et résolue à la guerre contre la Russie. Si la perspective d’une pareille œuvre de réparation et de justice était peu faite pour toucher la cour de Berlin, — hélas ! peu faite même pour émouvoir les peuples germains, égoïstes jusqu’à l’imprévoyance, — il y avait pour la monarchie de Frédéric le Grand des intérêts plus proches et plus directs qui devaient la pousser à l’action. Le cabinet de Vienne s’était promptement décidé à cette fameuse « ingratitude » prédite depuis longtemps par M. de Schwarzenberg et prêtait aux alliés un concours au moins diplomatique, tandis que les petites cours allemandes ; les ministres des états secondaires, comme MM. de Beust, de Pfordten[1], nouaient des intrigues sans fin en faveur de la Russie ; il y avait donc pour Frédéric-Guillaume IV une position avantageuse à prendre en vue des annexions possibles et tant convoitées. Un état, du reste, qui prétendait toujours être compté pour une grande puissance et qui avait de plus à se relever de la défaite de Bronzell et d’Olmütz, ne pouvait se tenir à l’écart dans un grand conflit européen, et bien longue serait encore la liste des motifs qui auraient dû engager la Prusse à marcher de concert avec les alliés. Le gouvernement de Berlin semblait à un moment donné vouloir suivre cette voie en effet ; il se mêlait activement des transactions diplomatiques qui essayaient d’abord d’empêcher l’explosion décisive ; avant tout, il commença par le commencement ordinaire, par une demande au parlement d’un crédit de 30 millions de thalers, « dans des desseins militaires (militaerische zwecke). » Un fait peut servir à montrer jusqu’où allait la déférence du parti dd la croix pour la représentation nationale : c’est que, dans le débat engagé sur cette demande de crédit, M. de Gerlach invita insolemment la chambre à émettre la déclaration expresse « qu’elle n’entendait rien aux affaires extérieures. » Un autre

  1. Par une singulière manie, on s’obstine toujours à considérer ces ministres comme les représentai du vrai « libéralisme » allemand malgré leur conduite d’alors, malgré une conduite analogue qu’ils tinrent depuis et pendant la guerre d’Italie