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pédantesque et réglementaire. Les amitiés du roi changèrent aussi bien que ses allures. Seul, un sage doublé d’un rusé qui attend encore son juge sévère, faux bonhomme du monde politique et peut-être même du monde savant, un Franklin de la science, — Alexandre de Humboldt, puisqu’il faut le nommer, — avait su garder sa position jusqu’au bout, parce qu’il n’avait jamais prétendu exercer une influence sérieuse ; mais les hommes plus entiers dans leurs convictions, plus ambitieux de faire triompher leurs idées, les Bunsen et même les Radowitz, durent céder la place à de nouveaux favoris, tels que les frères de Gerlach, MM. de Kleist-Retzow et de Senfft-Pilsach, le conseiller intime M. de Niebuhr, fils du célèbre historien, qui ne rappelait son illustre père que par quelques singularités. Il est utile de noter ces noms, puisque les nouvellistes du jour nous les citent de nouveau comme étant en passé de retrouver de hautes fonctions sous les auspices de M. de Bismark-Schœnhausen. À l’époque dont nous parlons, MM. de Gerlach, de Kleist-Retzow, etc., constituaient un conseil du roi à côté ou pour mieux dire au-dessus du ministère, et, sans avoir assurément la foi ni surtout l’esprit de Voltaire, ils avaient tous cependant son mot d’ordre : « écraser l’infâme. » L’infâme, on s’en doute bien, c’était la révolution.

Tel fut le roi, et il ne ressemblait certes en rien au jeune monarque qu’on voyait au-delà des Alpes si attentif vers la même époque à s’accommoder aux exigences du temps, si préoccupé d’effacer les rancunes et les amertumes du passé, si noblement confiant dans les principes modernes et les destinées de son peuple. Quant au ministre principal de Frédéric-Guillaume IV, un seul passage d’un de ses discours suffira pour marquer toute la distance qui séparait le baron de Manteuffel de l’homme de génie que Victor-Emmanuel venait de placer à la tête de son conseil. À l’aide de quels moyens M. de Cavour crut-il pouvoir relever la nation après le désastre de Novare, raviver la foi ébranlée, réunir en un seul faisceau les cœurs et les intelligences, faire surtout face à l’Autriche toujours menaçante, et préparer lentement l’Italie à une revanche et à une résurrection ? En inaugurant à Turin une ère de vraie liberté et de conciliation, en pratiquant sincèrement le statut constitutionnel, en promulguant des réformes sages et salutaires, en adressant un appel à toutes les forces vives de la nation, en faisant du gouvernement de son roi un objet d’admiration et d’envie pour tous les peuples de la péninsule, enfin, et pour tout dire, en faisant du petit Piémont ce bijou merveilleux dont parle la légende, qui, plié, ressemblait à un éventail, charmant jouet des mains, et qui, déployé, devenait une tente immense, capable d’abriter une armée ! Or, dans une position exactement analogue et en face du même ennemi,