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qui fut une œuvre éminemment italienne, en ce sens surtout qu’un acte spontané de dignité personnelle y devint en même temps un acte habile de calcul politique. En se dépouillant volontairement de la couronne, le vaincu de Novare coupait court à toutes les récriminations du passé au milieu desquelles se serait infailliblement débattu et peut-être englouti un règne continué après un échec si terrible ; il donnait pour ainsi dire une expression palpable et symbolique à l’ère féconde qui devait commencer, et faisait exécuter à toute la nation un mouvement de front vers l’avenir. Un changement de souverain est parfois, au sens monarchique, une démarche aussi nécessaire et aussi sagace que l’est, dans les grandes occasions et au sens révolutionnaire, un changement de dynastie. Un bon génie aurait dû conseiller à Frédéric-Guillaume IV de suivre l’exemple de Carignan, auquel il avait ressemblé par plus d’un côté respectable, par le patriotisme, par les tendances mystiques, par l’ambition et les revers, sans avoir eu heureusement ces points ténébreux et ces équivoques pénibles qui avaient longtemps marqué les débuts de l’ancien compagnon de Santa-Rosa. Du reste, et bien avant la dernière péripétie, des esprits clairvoyans et sincèrement monarchiques avaient appelé de leurs vœux un pareil dénoûment ; dès le commencement même de la révolution de Berlin, en mars 1848, l’organe principal du grand parti constitutionnel et allemand avait signalé l’abdication de Frédéric-Guillaume IV comme le seul moyen qui pouvait encore sauver la dignité du roi et assurer le développement régulier de la nation. Un monarque qui avait donné un cachet si personnel à des idées et à des principes d’un autre âge ne pouvait en effet accepter les nécessités du régime moderne sans s’amoindrir. Et au point de vue même poétique, qui préoccupait tant le roi Frédéric-Guillaume IV, il aurait mieux valu déposer la couronne pour toujours que d’ôter le chapeau pour un moment devant les cadavres des « rebelles. » Le grand drapeau de l’Allemagne arboré à l’instant pouvait, il est vrai, cacher à la rigueur dans ses vastes plis les blessures faites à l’orgueil du souverain prussien ; mais après avoir été forcé d’abandonner encore et si vite l’oriflamme de l’empire, il aurait fallu quitter la scène politique, si on ne voulait se condamner à rester sous le poids écrasant d’une double mortification. Fatalité vraiment tragique de cette existence royale à plus d’un égard émouvante : la nécessité inévitable que ne voulut pas reconnaître une raison alors lucide, elle devait quelques années plus tard s’imposer violemment à une raison obscurcie ! Frédéric-Guillaume IV s’obstina donc à régner, non pas tant par amour du pouvoir que par l’idée étrangement mystique qu’il se faisait de ses devoirs de souverain : « Dieu le sait, s’écria-t-il dans une occasion solennelle, alors