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dans sa dépêche à M. de Rochow, son ambassadeur à Pétersbourg, que « si la Russie n’avait pas à redouter l’esprit de révolution, la Prusse avait montré qu’elle savait le comprimer chez elle sans assistance étrangère. » Bien plus, elle avait montré qu’elle savait le comprimer aussi dans les états voisins, — et, d’après une manière de voir alors générale dans les sphères politiques, c’était là une preuve de force et un titre de gloire. Le but qu’avait vainement poursuivi le ministère Gioberti en voulant faire acte d’autorité et de politique nationale en Toscane et à Rome, ne fût-ce qu’en contribuant à une œuvre de restauration, ce but, le cabinet de Berlin l’avait atteint sans difficulté et sans contestation dans les différens états du corps germanique : les soldats de Frédéric-Guillaume IV avaient triomphé de la révolte à Dresde, pacifié le Hanovre, étouffé l’insurrection de Bade. Amoindrie sans doute dans son influence et compromise dans son prestige au dehors, la Prusse ne laissait pas cependant de compter parmi les grandes puissances de l’Europe, et certes rien à l’extérieur ne semblait la gêner dans le développement de ses institutions libérales. Elle n’avait pas à garder les ménagemens qui s’imposaient à l’état chétif que menaçait à chaque instant et de près le bras de fer de Radetzky. Tout devait donc engager le chef des Hohenzollern à suivre en toute sécurité la route vraiment royale où marchait à cette heure même la maison de Savoie au milieu des plus grands périls. Je ne sais, au point de vue purement humain, rien de plus édifiant que ces pages de la Bible où est raconté le travail « de purification et de résipiscence » qu’avait entrepris le royaume de Juda après la grande captivité du royaume d’Israël ; je ne connais rien de plus honorable pour l’esprit moderne dans les temps où nous vivons que les nobles efforts du Piémont dans la vie constitutionnelle et libérale après l’immense désastre de Novare. Comment un tel souvenir sacré, comment un tel exemple des temps présens étaient-ils restés également sans influence sur un roi qui lisait l’Écriture sainte avec la ferveur d’un prince chrétien, et qui aimait tant à reporter ses regards vers l’Italie, ne fût-ce que « par prédilection d’artiste ? »

Un changement de règne, l’avènement aux affaires d’un ministre de génie, enfin, et par-dessus tout, une pratique loyale et sincère du statut constitutionnel, telles avaient été les trois grandes fortunes qu’avait rencontrées le Piémont au sortir de la catastrophe de 1849, et qui toutes manquèrent à la Prusse après la restauration du Bundestag. Fascinés par l’éclat de M. de Cavour, pleins d’une reconnaissance sympathique pour les progrès rapides du Piémont, nous tenons d’ordinaire trop peu de compte de l’abdication de Charles-Albert, qui fut cependant le point de départ de tout ce travail régénérateur,