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lui tournait le dos. Puis il attaque Mme Borradaile. Le premier coup qui lui est destiné est reçu par M. Richardson, qui lève le bras au moment où il voit le sabre japonais s’abattre sur une femme, et qui a la main séparée de ce bras. Un second coup rase la tête de Mme Borradaile et lui enlève un morceau de son chapeau. Tout ceci se passe en quelques secondes. Des clameurs sauvages retentissent, partout on voit briller des armes, « Sauvons-nous, sauvons-nous ! » crie M. Marshall, et les quatre voyageurs partent au galop. Ils renversent quelques hommes qui leur barrent le passage, mais ils ne peuvent éviter tous les coups qui tombent sur eux des deux côtés. M. Richardson reçoit quatre ou cinq blessures dans le dos, dans le ventre, dans l’épaule, M. Marshall est atteint d’un coup de sabre dans le côté ; M. Clarke a le bras coupé. Tous les quatre cependant réussissent à fuir et sont bientôt hors d’atteinte.

M. Marshall, qui a gardé tout son sang-froid, crie à Mme Borradaile, sa belle-sœur, et à M. Clarke, de ne pas l’attendre, puis il se tourne vers son ami Richardson. La pâleur de la mort est déjà sur sa figure. M. Marshall saisit la bride de son cheval et lui demande comment il se trouve. « C’est fini, dit le malheureux, ils m’ont tué. » Quelques pas plus loin, il glisse de son cheval et rend le dernier soupir. M. Marshall le voit, il ne lui reste plus qu’à penser à sa propre sûreté. Il pousse donc en avant, emmenant avec lui le cheval de M. Richardson, et arrive ainsi à Kanagawa. Là ses forces l’abandonnent rapidement. Il parvient cependant jusqu’à la porte du consulat américain, que M. Clarke avait atteint quelques minutes avant lui, et où les deux blessés se trouvent bientôt, entourés de soins empressés et intelligens. Le docteur Hepburn, résidant à Kanagawa, était accouru au consulat aussitôt qu’il avait appris ce qui s’était passé. Il pansa les blessures de MM. Marshall et Clarke, et put bientôt leur apprendre que leur état ne lui inspirait point d’inquiétudes sérieuses.

Pendant ce temps, Mme Borradaile, folle de frayeur, prenait sa course à bride abattue à travers les hameaux et villages qui bordent la grande route. Son cheval tombe plusieurs fois, mais il se relève toujours et continue sa course furieuse. Mme Borradaile ne pense plus à le diriger ; elle ne sait plus où elle va. Le cheval s’arrête enfin, devant la première maison du quartier étranger. C’est là qu’un des membres de la colonie anglaise, M. Gower, la trouve. Il la voit, les vêtemens en désordre, couverte de sang et de poussière. En quelques mots, elle lui explique ce qui s’est passé, puis elle s’évanouit. M, Gower court alors répandre à Yokuhama la sinistre nouvelle. La communauté étrangère se lève d’un seul élan. Quelques minutes à peine se passent, et plus de cent cavaliers galopent sur la route de Kanagawa pour chercher le corps de Lenox Richardson, et, s’il est possible, pour venger sa mort. À leur tête se trouvent MM. Du Chesne de Bellecourt, le ministre français, et M. Howard Vyse, le consul anglais. Ils sont accompagnés par une vingtaine de soldats gardes des légations anglaise et française. Arrivés à la place où Lenox Richardson est tombé, ils ne trouvent