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Japonais. Les gouverneurs de Yédo, avertis, reconnurent que l’assassin était un des leurs, et promirent de le punir ; mais avant que cette promesse s’exécutât, le criminel s’était fait justice lui-même en s’ouvrant le ventre. On demanda aux gouverneurs des explications auxquelles ils se bornèrent à répondre : « Il se peut que le meurtrier fût un misérable fou, il se peut qu’il ait eu une querelle avec un des marins qu’il a tués. En tout cas, le voilà mort ; il échappe à toute juridiction humaine. » Le colonel Neale dut se contenter de ces réponses, et son gouvernement, auquel il rapporta ce qui s’était passé, s’en contenta aussi. On doubla les gardes autour des ministres étrangers résidant à Yédo ; quelques-uns d’entre eux se retirèrent à Yokuhama, et prirent le parti de ne se rendre à la capitale que dans les occasions qui rendaient leur présence indispensable. L’affaire en resta là.

L’assassinat de M. Lenox Richardson fut entouré de circonstances toutes différentes. Là rien de caché, rien de mystérieux ; il ne restait aucun secret à découvrir, il n’y avait qu’à frapper les coupables. Le dimanche 14 septembre 1862, quatre personnes, MM. Lenox Richardson, Clarke, Marshall et Mme Borradaile, montent à cheval pour faire une promenade à Kawasacki, village situé sur la grand’route, à environ 15 kilomètres de Yokuhama. Ayant passé Kanagawa, le premier grand village qui se trouve sur le chemin entre Yokuhama et Kawasacki, les quatre promeneurs rencontrent un grand nombre de soldats et d’officiers japonais marchant par bandes de dix à trente hommes. Déjà ils se sont croisés avec deux ou trois mille de ces hommes, et cela sans nulle difficulté, mais tout à coup, à un endroit où le chemin est enfermé entre des champs de riz, ils se trouvent en face d’un cortège solennel. Des hommes armés, marchant en file, bordent les deux côtés de la route ; au milieu d’eux s’avance une énorme chaise à porteurs, un norimon, du genre de ceux dont les princes et très hauts fonctionnaires seuls ont le droit de se servir. Les promeneurs continuent leur route sans méfiance, et se rangent pour troubler le moins possible l’ordre du cortège. Cependant l’ordre est troublé. Il n’en pouvait être autrement. Alors un Japonais sort des rangs, se place devant les chevaux de M. Richardson et de Mme Borradaile, qui marchent les premiers, et adresse aux cavaliers quelques paroles accompagnées de gestes furibonds. M. Richardson se tourne vers ses deux compagnons, qui le suivent de près, et dit : « On nous empêche d’avancer. — Revenez ! crie M. Marshall, qui pressentait un malheur ; pour l’amour de Dieu, évitez une querelle. » Les intentions pacifiques des promeneurs sont évidentes : ils n’ont pas fait un geste, ils n’ont pas proféré une parole qui puisse constituer la moindre insulte. M. Richardson et Mme Borradaile tournent leurs chevaux avec précaution. Si habiles qu’ils soient tous deux à manier leurs montures, comment ne causeraient-ils pas encore quelque confusion dans les rangs japonais ? Aussitôt une voix irritée, la voix du chef, part du norimon. À ce cri, à ce signal, le Japonais qui a le premier arrêté les chevaux rejette l’ample vêtement qui lui couvre le buste ; nu jusqu’à la ceinture, il tire son formidable sabre et en frappe M. Richardson, qui déjà