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L’ouvrage est monotone, et il y a plus d’une analogie entre la peinture ascétique d’Ary Scheffer et la musique du Faust de M. Gounod. L’exécution de cet ouvrage, compliqué et difficile est moins satisfaisante aujourd’hui qu’à l’origine ; Mme Carvalho, chargée du rôle principal de Marguerite, qu’elle a créé avec tant de distinction, est toujours une cantatrice d’un rare talent, quoique sa voix nous ait paru un peu fatiguée. Elle n’a pas trouvé dans M. Monjauze le Faust de ses rêves. M. Balanqué joue le rôle de Méphistophélès en comédien habile, et s’il n’y produit pas un meilleur effet, c’est la faute de sa voix. Les chœurs et l’orchestre méritent des éloges, et le spectacle est agréable. Quoi qu’il en soit de nos réserves, les représentations de Faust sont suivies, et seront fructueuses pour le Théâtre-Lyrique.

Le Théâtre-Italien fait des merveilles, il nous a presque ramené les belles soirées d’autrefois. Les représentations de Cosi fan tutte de Mozart et la reprise du Matrimonio segreto de Ciraarosa, qui a eu lieu tout récemment, attirent cette fine fleur d’amateurs distingués qui forment, dans tous les temps et dans tous les pays, les vrais représentans du goût et de la civilisation. Imaginez donc ce que deviendrait une nation, si elle était tout à coup séparée de sa tradition, et si elle n’avait pour la guider que les instincts grossiers de la foule ! Nous aurions alors l’art pur de la démocratie, comme nous en avons déjà la littérature et le journalisme. Enlevez au public qui fréquente aujourd’hui le Théâtre-Italien deux cents personnes, et vous n’avez plus qu’une masse confuse d’Espagnols, d’Italiens, de Portugais, de Russes, de Valaques et de Mexicains, qui le connaissent et qui n’admirent que les opéras de M. Verdi. Il faut les voir tristes et confus quand ils sont obligés d’écouter les divines mélodies de Cosi fan tutte ou du Matrimonio segreto ! Ils sont tout ébahis, et ils attendent vainement quelque coup de théâtre et ces points d’orgue merveilleux que leur prodigue Mlle Patti. En a-t-elle fait, dans le Barbier de Séville, de ces coups périlleux ! S’en est-elle donné à cœur-joie de ces fantaisies vocales d’un goût équivoque au point de gâter la pensée de Rossini ! Cette séduisante sirène à ébloui M. Mario de l’éclat de ses strillate, elle l’a étourdi du bruit de ses castagnettes. Aussi n’est-il plus question ni de M. Mario ni de personne ; on ne parle que d’Adelina Patti, de ses grâces, de sa jeunesse, de sa belle voix, de son instinct merveilleux, de sa bravoure et de ses petites mines d’enfant gâtée qui fera bien de consulter de bons juges, si elle veut atteindre le but élevé de son art. Qu’elle se garde surtout des éloges monstrueux que peuvent lui adresser des écrivains sans crédit et sans consistance : ce sont de vrais empoisonneurs du goût et de la morale publique. On doit s’honorer de mériter leurs injures et ne craindre que leur approbation. Mlle Patti est une artiste trop bien douée pour ne pas savoir discerner, au milieu de la foule confuse qui l’acclame, l’esprit équitable et modéré qui ne met rien au-dessus de la vérité, et qui la dira toujours sans qu’on parvienne à intimider son courage.

Dans le courant du mois de décembre, le 17, il y a eu une belle solennité