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vigueur aux momens décisifs, les éclairs du génie de la guerre font défaut. Ce serait à croire que les généraux américains, plus politiques encore que guerriers, se ménagent mutuellement, comme s’ils se réservaient l’arbitrage impérieux de quelque transaction finale. Les états demeurés fidèles à l’Union ont conservé, au milieu de la guerre, l’activité du travail et des affaires, leur vie industrielle et mercantile, leurs institutions, leurs mœurs et leurs habitudes politiques ; c’est dire qu’ils sont soumis aux influences des courans mobiles de l’opinion. Ils ont conservé le luxe d’être divisés en partis. Ils sont partagés en républicains et en démocrates, et tous les échecs militaires qui frappent le pouvoir aux mains des républicains augmentent les chances et l’influence des démocrates. La perte de la bataille de Frederiksburg décidera-t-elle un mouvement prononcé du parti démocrate, et accélérera-t-elle son arrivée au pouvoir ? La pacification est-elle plus prochaine qu’on ne le croyait ? Les premières nouvelles de l’Amérique nous l’apprendront. Quoi qu’il en soit, la France n’a pas à regretter que la faculté ne lui ait pas été donnée par la Russie et par l’Angleterre d’intervenir dans ce différend et d’exercer une pression morale sur les belligérans. Si les states doivent se réconcilier et se réunir encore, la meilleure paix qu’ils pourront faire sera celle qu’ils traiteront directement entre eux, sans prendre leurs intermédiaires à l’étranger.

Il ne sera pas facile aux Grecs de donner un successeur au roi Othon. C’est la première fois que l’utilité des prétendans est démontrée. Il n’est que les pays où il y a plus d’un candidat au trône qui puissent renverser un souverain avec l’assurance qu’ils trouveront à le remplacer. Voilà ce que nous apprend la présente expérience des Grecs. Leur infortune à la vérité n’est point sans compensation. Les Anglais refusent le prince Alfred et n’ont pu obtenir le consentement du prince Ferdinand de Cobourg ; mais ils donnent à la Grèce les Iles-Ioniennes. Comme ils ont le protectorat de ces îles en vertu des traités de 1815, ils auront à faire ratifier cette cession par les puissances signataires de ces traités. Il nous semble que le travail de la conférence qui devra être réunie à ce sujet est une pure formalité. On dit que l’Angleterre y demandera aux puissances auxquelles la question des Iles-Ioniennes sera soumise l’engagement de ne jamais faire la conquête de ces îles dans l’avenir. Si un pareil engagement est réellement demandé, il ne saurait être refusé ; mais une stipulation semblable est si insolite qu’il ne nous paraît pas vraisemblable qu’elle soit sérieusement proposée. L’Angleterre au surplus a trop bien joué cette partie pour qu’elle s’expose à gâter son succès par des restrictions puériles. L’abandon des Iles-Ioniennes, spontanément offert par la puissance qui, dans les idées vulgaires, passe pour si avide de possessions maritimes, est un démenti éclatant aux routines de la vieille politique. C’est un précédent auquel l’Angleterre donnera peut-être elle-même des suites non moins inattendues ; c’est en tout cas un exemple qui devrait donner à réfléchir à ces tenaces