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cette détresse qui s’est concentrée dans la Seine-Inférieure, que les chefs d’industrie de l’Alsace ont su ou pu détourner jusqu’à présent de leurs ateliers, mais qui pourrait s’étendre sur d’autres parties de la France ; comme une épreuve solennelle à laquelle la Providence soumet moins encore les milliers d’ouvriers qui supportent leur infortune avec une si touchante résignation que les classes riches et conservatrices de notre pays. On verra bientôt si elles savent sentir, comprendre et prévoir. Mais le mot de classes est un terme trop général à nos yeux. Les devoirs ne sont pas collectifs, ils sont individuels. Que les personnages connus par leur richesse, que ceux qui sont placés à la tête du mouvement industriel de notre époque, que ceux qui ont présidé à la direction des affaires publiques, que ceux qui n’ont pas renoncé à la noble ambition de dévouer leur vie aux intérêts et à la renommée de la France se rendent courageusement compte de la situation, s’inspirent du sentiment viril de leur responsabilité, réagissent contre notre maladresse et nos défaillances en matière d’œuvres collectives, et fassent un effort digne d’eux ! Le mouvement, trop tardif et trop lent, n’est qu’à son début : qu’on le ranime, en suivant les nobles exemples déjà donnés, et qu’on le conduise au but ! Le but, nous l’avons dit, c’est 10 millions. Désespérer de l’atteindre dans un pays où les millions se lèvent chaque année par centaines à l’appel du lucre, ce serait faire à la France une injure jusqu’à présent imméritée. Qu’est-ce après tout ? Ce n’est pas la moitié de ce que les dons volontaires ont déjà fourni en Angleterre au Lancashire en détresse. Ne pouvons-nous pas faire la moitié de ce que font les Anglais ? Serons-nous insensibles à l’aiguillon de l’émulation internationale, et pense-t-on que nous soyons incapables de tenir tête aux Anglais dans une lutte de générosité patriotique ? Surtout que l’on n’essaie pas de détruire l’effet de cette comparaison avec l’Angleterre par de détestables argumens : que l’on ne dise pas que le nombre des victimes de la crise est plus considérable chez nos voisins que chez nous, comme si l’intensité de la souffrance pouvait être plus grande au sein de deux cent cinquante mille ouvriers soulagés en Lancashire que parmi nos cent mille ouvriers de la Seine-Inférieure, qui n’ont encore reçu que d’infimes à-comptes sur le produit d’une collecte insuffisante ! Que l’on ne parle pas des richesses de l’aristocratie anglaise : ceux qui sont au courant de la distribution des fortunes dans notre pays savent bien que, sous le rapport des accumulations de capitaux, nous n’avons rien à envier à l’Angleterre. Et d’ailleurs croit-on qu’il n’y ait que de grosses souscriptions chez nos voisins ? Lord Derby a souscrit, il est vrai, pour 250, 000 francs au fonds de soulagement ; mais dans le meeting où il adressait un si chaleureux appel aux vertus publiques, de ses concitoyens, il apportait une souscription de 30, 000 francs réunie par des ouvriers, abonnés d’un journal d’ouvriers, le British Workman, et il était plus fier, plus reconnaissant, plus heureux de cette noble offrande que des dons prélevés par les riches sur une partie de leur superflu.

La session de nos chambres s’ouvrira le 12 janvier. Le Moniteur a publié