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occupe un homme pour tisser, plus une femme ou un enfant pour bobiner. 128,000 individus vivent donc des métiers à bras ; sur ce nombre, un cinquième seulement travaille aujourd’hui, et 100,000 par conséquent sont en chômage. En ajoutant les 30,000 ouvriers de la grande Industrie aux 100,000 de la petite, le total des personnes aujourd’hui sans travail s’élève à 130,000. Ce sont là, suivant l’expression de M. Cordier, les gagne-pain. « À côté de ceux-ci, continue-t-il, sont la femme, les enfans, les vieux parens, qui en temps ordinaire sont utilisés aux travaux des champs ou à quelque opération industrielle confiée à domicile. Le chiffre des malheureux atteints par la crise peut donc être le double, sinon le triple de ceux inscrits au chômage. » Ainsi 130,000 individus, si l’on ne tient compte que des travailleurs, 260 ou 390,000 personnes, si l’on comprend tous ceux qui vivaient de l’industrie cotonnière, sont à l’heure qu’il est sans ressources. Voilà, exprimé en chiffres humains, le nombre des existences auxquelles il faudrait pourvoir. Or qu’a produit la souscription publique ouverte à Paris il y a trois semaines ? À peine deux cent mille francs. Deux cent mille francs, c’est à peu près la somme qu’à l’heure qu’il est la souscription pour la détresse du Lancashire produit en Angleterre chaque jour. C’est la somme que la chambre de commerce de New-York a réunie en vingt-quatre heures pour envoyer aux ouvriers anglais, qu’elle réunira peut-être en aussi peu de temps pour envoyer à nos populations souffrantes de la Seine-Inférieure ! Répartie entre les victimes du chômage, notre souscription ne produirait pas un franc par personne ! Ayons le courage de l’avouer, c’est un résultat dérisoire. Quand une telle calamité est révélée à la France, ce serait pour la France une honte de répondre par une si misérable aumône.

Il faut se rendre compte de l’œuvre entière telle qu’elle doit être. Il faut faire vivre, nous annonce-t-on de Rouen, 260 ou peut-être 400,000 âmes. Tenons ces chiffres pour exagérés, ne prenons que celui des gagne-pain, 130,000. Il faudra les faire vivre pendant trois mois, quatre mois peut-être. Certes il ne s’agit pas de fournir à ces victimes d’une perturbation industrielle l’équivalent des salaires des jours d’activité prospère. Réduisez leur pauvre budget au nécessaire le plus strict. Serait-ce trop que de pouvoir procurer aux inscrits au chômage un franc par jour et par tête, lorsqu’on songe que chacune de ces têtes représente l’existence de deux ou trois individus ? Sur cette base, le fonds des dons volontaires aurait à subvenir à une dépense de 130,000 francs par jour, de 4 millions par mois, et si la détresse venait à durer dans les mêmes proportions pendant trois mois, le fonds à réunir devrait s’élever à 12 millions, Mais si un franc par jour en moyenne, ce n’est pas trop pour l’ouvrier, qui doit nourrir sa femme, ses enfans ou ses vieux parens, 12 millions à recueillir en trois mois, est-ce plus que ne peuvent fournir les ressources et la générosité cordiale des classes opulentes ou aisées de notre pays ? Retranchons encore quelque chose, si l’on veut, retranchons 2 millions de cette subvention spontanée,