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supposer des privations, des souffrances exceptionnelles, dans les classes ouvrières. Celui qui se serait borné à consulter les relevés des boards of guardians, ou comités chargés de distribuer les produits de la taxe des pauvres, pouvait soutenir qu’il était peu d’ouvriers sans ressources. En effet, au mois de mai 1862, il y avait moins de pauvres assistés qu’à la même époque en 1857. Le président du board of guardians de Manchester déclarait alors, par la voix des journaux de la localité, que le nombre des ouvriers qui s’adressaient à la taxe des pauvres était des plus limités. Le maire de Manchester, invité à ouvrir des souscriptions, affirmait, au nom des manufacturiers du Lancashire, qu’il ne permettrait pas aux autres parties du royaume d’intervenir, et que le comté de Lancastre saurait se suffire à lui-même. Le même optimisme était partagé par le président du board of poor law, M. Villiers, l’un des ministres de la couronne. Répondant à des interpellations qui lui étaient adressées dans la chambre des communes : « Rien, disait-il, ne nécessitait des mesures extraordinaires. Il n’existe rien dans les règlemens de la loi sur le paupérisme qui ne puisse être adapté aux circonstances actuelles, et le système en vigueur peut même se prêter à des circonstances extraordinaires. »

Mais deux mois ne s’étaient pas écoulés que la situation présentait un caractère tout différent, et des plus menaçans pour l’avenir. Le ministre président du board of poor law avait délégué un commissaire chargé spécialement de parcourir les localités affectées par là crise, et l’optimisme des premiers jours s’était changé en une inquiétude qu’on ne cherchait plus à dissimuler. M. Farnall, le commissaire délégué, s’exprimait ainsi devant le comité de Manchester, qui venait de se constituer :


« Au 20 juillet, il y avait 33,343 individus complètement sans travail dans les cinq villes de Preston, Blackburn, Wigan, Ashton et Stockport ; ce nombre augmente encore, et il ne comprend pas les familles de ceux qui sont sans emploi. Le nombre des personnes exigeant des secours est probablement le double. En outre, 24,062 individus ne travaillent qu’une partie de la semaine, et gagnent des salaires à peine suffisans pour entretenir leur famille. Dans ces cinq villes, 20,823 livres sterling ont été dépensées par des comités locaux, qui sont continuellement à solliciter le public pour des contributions plus libérales, se plaignant que quelques-uns des plus riches habitans n’aient pas souscrit. Les caisses d’épargne sont épuisées. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans beaucoup de détails pour démontrer qu’un chiffre considérable de souscriptions sera nécessaire. La difficulté pourrait être résolue par la taxe des pauvres, cela est vrai ; mais comment ? À Stockport, il a fallu déduire 50 pour 100 de la taxe, parce que les boutiquiers n’étaient pas en état de payer leur part. Ce déficit devra être comblé