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avait composé sa première dépêche. — Ç’a été un curieux spectacle enfin que de suivre dans la presse anglaise le concert de réfutations et d’attaques qui ont suivi cette publication, et nul doute n’a pu rester sur les dispositions véritables de l’esprit public. Ce n’était pas pour rien, on l’a bien vu alors, que les attaches de toute sorte s’étaient multipliées à l’infini depuis dix ans entre la Grande-Bretagne et les états scandinaves ; ce n’était pas pour rien que des voyages rendus chaque année plus faciles et devenus familiers avaient renouvelé dans l’esprit anglais les souvenirs d’une origine et de destinées en partie communes ; ce n’était pas pour rien que M. Dasent, le traducteur de la Saga de Nial, avait été fêté à Copenhague ; ce n’était pas inutilement, ajoutons cet éloge mérité, que des livres aussi clairs et aussi sensés que celui de M. Gosch avaient paru à Londres même. Suivre les réfutations qui remplirent les journaux anglais, comme si la nation avait eu à repousser quelque interprétation téméraire de ses propres sentimens, ce serait répéter les argumens que nous avons déjà exposés. Qu’il nous suffise de noter que certaines feuilles influentes, jusque-là échos volontaires des doctrines allemandes contre le Danemark, ont changé de drapeau en présence des résultats extrêmes que la démarche de lord Russell leur paraissait devoir entraîner ; toutes se sont accordées à rappeler au ministre que la politique de non-intervention inscrite dans son programme et adoptée par l’esprit public ne s’accordait pas avec ce qu’il avait tenté.

Quelque importante que soit cette manifestation non équivoque de l’opinion en Angleterre, la double dépêche de Lord Russell, il ne faut pas se le dissimuler, n’en reste pas moins un incident fâcheux pour le Danemark et pour tout le monde. L’Allemagne elle-même comprendra, nous osons l’espérer, que la nation danoise ne peut pas volontairement détruire le lien, déjà faible, qui rattache le Slesvig au royaume, ni proclamer l’autonomie politique d’un duché que les traités ont déclaré possession danoise ; elle trouvera prudent d’éviter à tout prix une guerre, car une guerre une fois allumée peut s’étendre au-delà des frontières où l’on espérait l’enfermer. Il est bien assez regrettable déjà que la question dano-allemande n’ait pas enfin une solution ; mais cela est encore préférable à une guerre, pour l’avantage de tous. Peut-être. l’Europe comprendra-t-elle, à bout de patience, qu’il est bon de ne pas abuser de la longanimité des faibles, ne fût-ce que dans l’intérêt de ce qui reste au monde de moralité politique.


A. GEFFROY.