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ait eu parmi les organes de la presse, nombreux et libres, une complète unanimité : il y a eu parfois dans le parlement des dissidences ; mais il n’en est pas moins vrai que la nation anglaise, sans vouloir d’une intervention active, et sans prêter non plus à ce démêlé une attention fort spéciale, n’a jamais donné de gage à l’Allemagne contre le Danemark, et le sentiment non équivoque du public s’est même traduit plus d’une fois dans les actes extérieurs du cabinet de Saint-James.

Subitement lord Russell vient de changer tout cela. Dans une première dépêche, datée du 24 septembre 1862, et dans une seconde dépêche explicative, en date du 20 novembre, il a demandé que la constitution commune imposée à la monarchie danoise au mois d’octobre 1865 disparût pour le Slesvig aussi bien que pour les deux duchés allemands, que le duché danois du Slesvig obtînt une entière autonomie ! Il n’y a pas besoin d’avoir beaucoup étudié la question, disons-le tout de suite, pour comprendre : 1° que nul cabinet n’a le droit d’intervenir dans les affaires intérieures de la monarchie danoise, et que le Slesvig n’a rien de commun avec l’Allemagne ; 2° que l’autonomie du Slesvig équivaudrait à la dissolution complète du Danemark. Il est certain, pour qui connaît les esprits au-delà de l’Eyder, que le petit peuple danois, fort de son bon droit et de sa longue et humble patience, après avoir opposé un refus absolu à une telle proposition, soutiendrait la guerre la plus acharnée avant de s’y soumettre.

Au nom de quels droits contraires lord Russell a-t-il pu ainsi parler ? — Suivant lui, le duché danois de Slesvig a une existence indépendante de celle du royaume de Danemark proprement dit, et il y a entre le Slesvig et les duchés allemands des liens indissolubles indépendamment de leurs rapports avec la couronne danoise ; enfin le roi de Danemark, en 1851 et 1852, a contracté par-devant la confédération germanique, à l’égard du Slesvig, un double engagement d’honneur (c’est lord Russell lui-même qui a inventé cette dénomination) : Frédéric VII a promis de ne jamais incorporer ce duché dans le royaume, et de faire en sorte que les sujets allemands y fussent traités sur un pied d’absolue égalité avec les sujets de nationalité danoise ou autre. Cette dernière promesse n’aurait pas été remplie, et l’on se disposerait à violer aussi la première en maintenant une constitution commune pour le royaume et le Slesvig. À en croire lord Russell, ou plutôt une note prussienne qu’il accueille et transcrit, il y a un plan systématique du gouvernement danois pour détruire les attaches de nationalité et de voisinage qui unissaient jadis le Slesvig au Holstein ; on a laissé exprès en oubli les dispositions concernant l’université de Kiel ; on a rempli le Slesvig de fonctionnaires danois dans l’administration, de prêtres danois dans les