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de n’en pas tenir compte en le jugeant. Soyons de bonne foi : pouvions-nous prévoir nous-mêmes que nous nous sentirions à ce point blessés ? Savions-nous que nous fussions à ce point solidaires les uns des autres ? Avions-nous pleinement conscience du rapprochement que dix années de claires leçons et de fortes épreuves ont opéré, non pas, hélas ! entre les armées, mais entre les diverses élites des opinions libérales ? Et comme nos impressions personnelles doivent être ici notre mesure, savais-je, avant de l’avoir éprouvé, qu’un coup frappé à ma droite me serait aussi sensible qu’un coup porté à ma gauche, ou m’atteignant moi-même ? Ce nom de légitimiste, traîné sur la scène, m’eût laissé froid il y a dix ans ou m’eût fait sourire : je sais aujourd’hui, grâce à M. Augier, que ce nom, devenant un reproche, n’éveille plus en moi qu’un souvenir, celui du premier essai de gouvernement libre qui ait honoré la France. J’ai appris de même il y a un mois, par M. Sardou, qu’on s’épuiserait en vain à me faire paraître un républicain ridicule ; on avait beau le faire ancien greffier du tribunal révolutionnaire, ce mot de république n’éveillait plus chez moi le souvenir du désordre ou de l’échafaud, mais celui de quelques hommes de bien qui, ayant reçu au lendemain d’une chute imprévue la conduite de la France, lui ont laissé le gouvernement d’elle-même, et qui ont vu, sans avoir un seul instant la pensée d’attenter aux lois, élever à la première magistrature de l’état un prince appelé inévitablement par son nom comme par son passé à détruire leur œuvre et à les disperser dans la retraite ou dans l’exil. Voilà les leçons que le théâtre nous donne, et quand il frappe sur nous ou autour de nous, voilà ce qu’il nous apprend sur nous-mêmes. Il ne faut point se montrer ingrat envers ceux qui nous rendent à leur insu de tels services, et leur intention serait vraiment coupable, ce que je refuse de croire en ce qui touche M. Augier, que nous ne serions point quittes envers eux de toute reconnaissance.

Il serait maintenant hors de propos de faire un examen étendu d’une œuvre que la moitié de Paris a vue et que le reste de Paris ira voir. Bien que cette comédie soit amusante et que la conduite habile de quelques scènes soit d’un effet heureux, dont une bonne part revient au jeu achevé des acteurs, il y aurait fort à dire au point de vue littéraire sur l’action et sur les caractères ; mais nous ne nous piquons point d’une sévérité excessive et trop facile sur ces matières : nous reconnaissons volontiers qu’il est bien plus aisé de montrer ce qui manque à des personnages de comédie que de les faire vivre tels qu’ils sont et de faire marcher la comédie elle-même sans trop révolter ou ennuyer le spectateur. Jetons néanmoins un coup d’œil sur ces divers personnages : il n’en est pas un qui vive en parfait accord avec la nature ; ils s’en éloignent tous plus ou