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constituante, ennemi des alliances compromettantes, des élévations politiques que la conscience désavoue et répudie, maître chez lui parce que le droit est son domaine, c’est l’avocat, si nous ne nous trompons, dans sa mâle physionomie et dans le patronage nécessaire qu’il est appelé à exercer au sein de la société moderne. Qu’importent les fâcheux pronostics et les alarmes qu’on se plaît à répandre ? On a dit que le barreau était sur la pente d’une décadence prochaine, que les traditions s’y effacent peu à peu, que le courage et la fermeté y deviennent de plus en plus rares, et que la soif des faveurs et des emplois tend à y exercer de désastreux ravages. Nous n’en croyons rien. Ceux qui parlent ainsi nous paraissent être beaucoup trop préoccupés de désertions qui, grâce au ciel, sont isolées, et n’ont point acquis la faveur d’être érigées en exemple ou en règle. Quoi qu’on dise ou qu’on fasse pour le persuader, le honteux prurit de l’ambition et les défaillances n’ont point encore atteint l’institution dans ses forces réelles et vives ; le prestige de certains noms est loin de s’être affaibli, et le jour où une main habile et pieuse essaierait de recueillir les œuvres judiciaires des Berryer, des Dufaure, des Jules Favre et de tant d’autres illustres maîtres restés fidèles à leur mission et à leur foi, des Paillet et des Bethmont morts à la barre, mais tombés au milieu des sympathies publiques, l’étude de ces œuvres, qui ne périront point, on l’espère, démontrerait sans aucun doute que le barreau issu des temps parlementaires n’a point borné ses visées à une simple réforme de style dans la plaidoirie, et que, si l’avocat de nos jours pour parler bien s’est attaché à parler juste, il a compris en même temps que, pour être compté à sa véritable valeur, il avait un autre but à poursuivre, et que le talent n’est estimable et respecté que lorsqu’il s’allie à la fermeté des convictions et au profond sentiment de la liberté.



JULES LE BERQUIER.