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Dans les premiers jours de cette renaissance toutefois, la plaidoirie est âpre, parce qu’il faut frapper fort et entrer avant dans les esprits ; il s’agit moins de charmer que de convaincre ; les partis sont en lutte, et il faut parler haut et vigoureusement au milieu de la mêlée. Pour agir plus vivement et plus promptement sur l’imagination, M. Dupin s’était fait une arme à son usage ; nul n’a mieux compris ces mots qui touchent comme des coups de fleuret, ces surprises qui déconcertent, ces saillies qui éclairent un débat et scintillent comme les éclats de la foudre. Il est peu de ses plaidoiries importantes qui n’aient offert de ces traits hardis ou piquans qui restent comme le dernier mot d’une cause. Ce genre d’argumentation, dont se servit parfois Cicéron lui-même avec tant de bonheur, ce qui le rendait plus redoutable encore chez M. Dupin, c’est qu’il marchait avec la connaissance la plus solide des lois et des affaires. On sent dans ces plaidoiries nerveuses une puissante trame, un mécanisme savant et bien assis. Grâce à ces discussions serrées, à ces déductions rigoureusement tirées des textes et des faits, il se fit dans la pratique judiciaire une clarté qui fut tout à l’avantage de la vérité et de la raison, et cela au criminel comme au civil ; la procédure criminelle fut bien obligée de se dépouiller de cette ridicule phraséologie pompeuse et vide qui la caractérisait au dernier siècle, et qu’elle conserva longtemps encore malgré la réforme des anciennes institutions judiciaires. Les actes d’accusation du directoire et de l’empire renfermaient pour la plupart des considérations d’une puérilité dogmatique qui n’exciterait de nos jours que le sourire. Cette réforme était sans doute dans le courant de l’époque, mais elle fut singulièrement accélérée par celle qui s’accomplissait dans le barreau. Ce qui distinguera désormais la plaidoirie, c’est l’action, le mouvement, grand secret des orateurs romains dont l’ancien barreau français ne s’était point assez préoccupé ; c’est aussi la science du droit, qui devra s’allier à l’art de bien dire.

De nos jours, l’avocat consultant, le jurisconsulte proprement dit n’existe plus, il se confond avec l’avocat qui plaide. Longtemps les deux rôles avaient été séparés, ils l’étaient aussi dans l’antiquité. Il paraît même que l’orateur avait assez de dédain pour le jurisconsulte. Quintilien le rabaisse et en fait une espèce de praticien subalterne ; Cicéron demandait trois jours pour devenir jurisconsulte, mais il revint plus tard à d’autres idées et comprit l’utilité de l’étude du droit. Cette distinction entre l’avocat et le jurisconsulte avait sa raison d’être : à Rome, parce que devant les tribunaux populaires, souverains juges, l’orateur ne s’attachait guère qu’aux circonstances de fait ; en France, sous l’ancien droit, parce que la vie d’un homme suffisait à peine à démêler le chaos des lois et des coutumes. Aujourd’hui