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affaires publiques, il ne s’agit pas toujours de défendre les autres ; on a soi-même à se défendre, et dans ces combats et ces luttes tout est péril. Et puis, comme les morts de la ballade, les gouvernemens vont vite, et pour qui serait tenté de les suivre la logique risque fort de rester en défaut.

M. Dupin se plaint avec beaucoup de raison de cette mobilité des institutions, il se rappelle l’ingénieuse comparaison de l’orateur romain, et le pouvoir s’offre à ses yeux sous la forme d’une balle que se renvoient alternativement la république, la monarchie constitutionnelle et les gouvernemens absolus. Il y a par malheur comme des éblouissemens dans ce vif esprit, et quand il assiste à ce feu croisé ou à ce jeu, pour continuer l’image de la balle, nous dirons volontiers qu’il hésite et se trouble. S’il fait l’éloge du gouvernement constitutionnel, objet de ses jeunes et premières affections, il lui échappe en même temps des paroles comme celles-ci : a beau gouvernement sans doute ; mais comment accorder le pouvoir et la liberté, principatum ac libertatem ? » Et, prenant à témoin Cicéron et Tacite, il laisse supposer avec ces illustres maîtres que les gouvernemens absolus sont encore les plus affermis, sinon les meilleurs. Que devient alors la vie entière de l’avocat, du publiciste, de l’orateur parlementaire ? que devient cet hymne à la liberté qui prend tous les tons dans les plaidoiries de ce premier volume ? que pense en définitive M. Dupin ? Tient-il pour la pondération des pouvoirs avec la liberté, ou pour les gouvernemens absolus avec la force ? Et à ce sujet était-il absolument nécessaire de s’expliquer dans la langue de Cicéron et de Tacite ?

À propos même des textes cités, il est une observation à faire. Ni Cicéron ni Tacite, est-il besoin de le dire ? n’ont incliné pour le pouvoir absolu. Si l’orateur romain déplore le peu de stabilité des gouvernemens, quelle qu’en soit la forme, il n’hésite pas à proclamer qu’à son avis c’est le gouvernement pondéré et libéral reposant sur l’alliance de ce qu’il appelle les trois pouvoirs qui est encore le plus solide : haec constitutio habet firmitudinem. Jamais non plus Tacite n’a désespéré de l’accord possible du pouvoir et de la liberté, principatum ac libertatem. Bien loin de là, il fait honneur à Nerva d’avoir su concilier ces deux choses, qui autrefois, dit-il, paraissaient inconciliables, res olim dissociabiles, et, que M. Dupin veuille bien le remarquer, il parlait ainsi sous Trajan, qui continuait noblement à les associer l’une à l’autre. Le plus grand historien de Rome et le premier de ses orateurs n’avaient donc ici rien à faire ; appelés à témoigner en faveur du pouvoir absolu, ils se seraient évidemment récusés, laissant à d’autres le soin de le glorifier. On comprend leurs regrets et leurs mécomptes à l’endroit des