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droits légitimes de Pa-Mua, frère de ce dernier, il avait formé le projet de s’en défaire. Caché derrière quelques broussailles, le long d’un sentier écarté où il avait vu Pa-Mua s’engager, il l’avait assailli par derrière, et, après l’avoir étendu mort d’un coup de parang, se serait aisément dérobé à toute poursuite, si ce meurtre n’avait eu un témoin providentiellement amené sur les lieux avant que l’assassin eût pu s’enfuir. C’était le propre fils de la victime qui, venu au-devant de son père et tournant brusquement un angle du sentier, avait reconnu Pa-Bunang. Cet enfant avait ensuite donné l’alarme, et les gens du village menaçaient de venger la mort de Pa-Mua, lorsque l’assassin, avouant tout haut l’acte qu’il venait de commettre, déclara audacieusement qu’il agissait par ordre du gouvernement de Sarawak, auquel il allait rendre compte de sa mission. Ces paroles imposant à une foule crédule, il put s’éloigner impunément ; mais on l’avait fait suivre, lui et sa famille, d’assez près pour qu’il lui fût impossible de s’échapper. Arrivé à Kuching, il avait été immédiatement arrêté et jeté en prison sur la dénonciation des émissaires senahs.

La cause me parut si intéressante que je voulus assister au jugement. Je trouvai la salle du tribunal fort encombrée, douze Anglais ayant été ajoutés aux chefs malais pour cette circonstance tout exceptionnelle. Malgré l’évidence apparente des faits, on avait pris tous les soins imaginables pour se procurer les preuves nécessaires, et ces soins étaient d’autant plus essentiels que l’unique témoin du meurtre hésitait, disait-on, intimidé par la réputation de l’accusé, à déposer contre lui. Une fois au pied du tribunal, cet enfant démentit par son attitude les craintes vaines qu’il avait fait concevoir. Le sang-froid, la précision dont ses réponses étaient empreintes leur donnaient le plus grand poids, et montraient en même temps quel profond ressentiment il gardait au meurtrier de son père. — C’est lui, c’est bien lui ! Je l’ai vu comme je vous vois, je le reconnais parfaitement ! — répétait-il en le désignant de la main : Le prisonnier, qui avait d’abord essayé d’invraisemblables dénégations, finit par avouer l’assassinat, motivé, prétendait-il, par une vengeance légitime, sa femme ayant été séduite par Pa-Mua. Enfin il abandonna ce système de défense et sollicita simplement le pardon de ses juges. Un verdict unanime le déclara coupable, et le juge prononça sur lui la sentence de mort.

En général, dans des circonstances analogues, les Malais se montrent impassibles. — C’est votre sentence ! — disent-ils, et, sans ajouter un seul mot, ils retournent en prison, pour marcher ensuite au supplice avec un calme parfait, une résignation sans égale. Ce jour-là, nous assistâmes à une autre scène. Au moment où l’arrêt de mort lui fut notifié, Pa-Bunang se laissa tomber à genoux, tendant à