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MYRTO, troublée.

Une amante ?… pour ce mot-là tu dois être châtié !… Oui, le fouet me fera raison de ton audace} couché-toi !… (Elle cueille une branche.) Je veux te frapper jusqu’à ce que tu te roules dans le sable… Eh bien ! tu restes debout ; attendras-tu que je te fasse lier à un arbre ?

BACTIS.

Enfant, épargne-toi tant de colère ! Tiens, je vais dormir là ; chasse-moi les mouches avec ta houssine : je te défie de me faire seulement ouvrir les yeux, (Il se conche.)

MYRTO.

C’est ce que nous verrons ! ( Elle passe derrière lui et le regarde, plie le genou et se penche sur lui.) Bactis, je t’aime !

BACTIS, se soulève avec un cri de surprise.

Dieux !

MYRTO.

Ah ! je t’ai fait ouvrir les yeux !

BACTIS, se relevant, irrité.

Cruelle, tu mentais ! Eh bien ! pour ce jeu-là, tu mériterais la mort…


MYRTO, recule effrayée.

Tu me menaces ?

BACTIS.

Va-t’en ! tu as le droit de m’ôter la vie, mais non celui de vouloir égarer mon âme. Va-t’en !

MYRTO.

Insensé, tu parles en maître !

BACTIS.

Oui, car je suis en ce moment plus que toi, qui sacrifies à la ruse et à la haine la fierté de ton état et celle de ton sexe.

MYRTO, émue.

Quel serait donc le crime ? où donc serait le mensonge ? Ne pourrais-je t’aimer sans honte ? n’étais-tu pas un chef et un guerrier dans ta patrie ? n’as-tu pas reçu les leçons des sages de ta religion ?

BACTIS, troublé.

Ne me parle plus !

MYRTO.

Alors parle-moi, il le faut ! On raconte sur toi des choses étranges, on dit qu’une divinité mystérieuse te protège, qu’elle a guéri les blessures dont tu étais couvert quand tu fus amené ici ; enfin les autres esclaves prétendent qu’elle te donne des forces qui sont au-dessus de ton âge, que malgré la délicatesse de tes bras tu portes les plus lourds fardeaux, et que, durant la moisson, aucun d’eux ne peut suivre le rhythme agile de ta faucille.

BACTIS.

La divinité qui me protège n’est pas d’une religion différente de la tienne, Elle s’appelle volonté ou courage, et son temple est partout sous le ciel.

MYRTO, avec tendresse.

Parle-moi encore ! N’es-tu pas né au-delà de l’Hémus, dans les déserts de la Scythie ?