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MYRTO.

Ote cette couronne ; c’est l’heure du travail. Mon père te demande à la maison, va vite ! obéis !

CARION, à part, ôtant sa couronne.

Cette jeune fille manque de piété ! Je m’en plaindrai aux dieux ! (Il sort.)


SCÈNE IV.
MYRTO, BACTIS.


MYRTO.

Et toi, misérable ! n’as-tu pas entendu mon reproche ? Prétends-tu braver la divinité ?

BACTIS.

La divinité ne repousse pas les malheureux.

MYRTO.

Es-tu de ceux qui se plaignent toujours, et qui, dans la servitude, voudraient se faire estimer à l’égal des hommes libres ?

BACTIS.

Myrto, quand m’as-tu entendu me plaindre ?

MYRTO.

Alors tu es de ces orgueilleux qui croiraient s’abaisser en implorant la pitié de leurs maîtres ? Tes yeux et ton cœur respirent la vengeance et l’aversion !

BACTIS.

Pourquoi haïrais-je ceux que le hasard m’a donnés pour maîtres ? Ils sont les aveugles instrumens de ma destinée !

MYRTO, blessée.

C’est trop de fierté pour un esclave ! Cette audace ne sied pas aux vaincus ; elle leur retire l’intérêt qu’on pourrait leur porter.

BACTIS.

Myrto, ton cœur ne connaît pas la pitié ! Tu es de celles qui se consolent de la domination des hommes par le plaisir de dominer les pauvres, les esclaves et les captifs. Rien n’égale la violence et la dureté des faibles envers les faibles ; ils se plaisent à rendre à ceux que leurs chaînes écrasent le mal qu’ils ont souffert eux-mêmes. Ainsi l’on voit les mouches altérées de sang s’acharner sur le lion blessé.

MYRTO.

Esclave insolent ! tu outrages la fille de ton maître et ton maître lui-même en supposant qu’il l’opprime ! Te crois-tu à Sparte où les femmes ne sont rien, tandis qu’ici, dans l’Attique, elles sont tout ? Mets-toi à mes genoux et demande-moi pardon de ton langage.

BACTIS, ému.

L’amour seul fait plier les genoux d’un homme devant une mère, une sœur… ou une amante. Veux-tu donc…