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LA
CHASSE AUX TETES
SCENES D'UN VOYAGE A BORNEO


I

Arrivé à Bornéo en 1848[1], j’étais encore l’année suivante assez peu au courant des mœurs de l’île ; au moins ne les connaissais-je que modifiées, adoucies par la ferme autorité que le rajah Brooke avait déjà établie sur la province de Sarawak, où je faisais auprès de lui mon apprentissage diplomatique. Nous menions à Kuching, la capitale de sa petite principauté, une existence presque européenne, et, bien que je comprisse toute la valeur des enseignemens quotidiens que je puisais dans les entretiens du rajah, je sentais en même temps le besoin de me mettre plus directement en rapport

  1. Les élémens principaux du récit qu’on va lire sont épars dans un des livres de voyages qui, depuis quelque temps, ont été accueillis en Angleterre avec le plus d’intérêt (Life in the Forests of the Far East, London, Smith, Elder and Co, 2 vol.). L’auteur, M. Spenser Saint-John (fils et frère de deux écrivains bien connus, James Augustus et Bayle Saint-John), accrédité comme consul-général tant auprès du sultan de Brunei et des autorités hollandaises de Balambangan que du fameux rajah de Sarawak (sir James Brooke), a mis à profit les privilèges de sa position, pour pénétrer, plus avant qu’aucun autre explorateur ne l’avait fait encore, vers le centre de la grande île de Bornéo. Remontant le cours du Limbang, gravissant les pentes escarpées du Kina-Balu, il a pu, sur les rives de l’un et les sommets de l’autre, étudier les paysages et les productions de l’île, sa faune multiple, sa flore étrange, ses richesses minéralogiques et ses institutions sociales, — si tant est qu’on puisse donner ce nom au système de tyrannie aristocratique sous lequel se débattent les populations mélangées, les tribus hostiles de ce splendide et malheureux pays. Le savoir réel, les détails précieux abondent dans ces deux volumes, qui résument onze années de séjour consécutif, d’observation assidue, de courageuses et utiles entreprises.