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MERCURE.

Un grand poète tragique s’était permis, deux cents ans avant ce jour, de transporter, sous le titre des Plaideurs, quelques passages de tes Guêpes sur la scène. Pour conserver le comique de ta pièce, il dut l’adapter à des personnages de son temps, car les hommes n’ont jamais cessé de plaider. Ce qu’on va tenter ici, c’est de montrer les hommes et les dieux tels que tu les as dépeints toi-même, avec leurs noms, leurs idées, leur costume et leur manière de s’exprimer. Autant que possible, on a dégagé ta pensée de ce que le temps a rendît obscur, et on l’a exprimée ou complétée en compulsant tes autres pièces. Je dois t’avertir aussi qu’on s’est aidé de la pensée de Lucien, un beau génie venu quatre siècles après toi, et qui, lui aussi, a traité le sujet de Plulus sans en altérer la philosophie.

ARISTOPHANE.

Alors j’espère qu’on a conservé ma scène de la Pauvreté ?

MERCURE.

Oui, quelque longue qu’elle soit, on a tenu à te montrer sous l’aspect sérieux, qui est le moins populaire de ton génie. Tout le monde sait que ton ironie était amère, que ni les grands, ni les petits, ni les savans, ni les poètes, ni les philosophes, n’étaient à l’abri de tes coups : la sagesse qui brille dans ton Plutus rachètera les excès de ta muse emportée.

ARISTOPHANE, avec humeur.

Vas-tu me reprocher Périclès, Euripide, Socrate ?

MERCURE.

Tu ne leur as pas fait de mal dans la postérité, qui les connaît mieux que toi.

ARISTOPHANE.

Oses-tu dire que ma raillerie se soit attachée à leur char de triomphe comme une vile dépouille ?

MERCURE.

Non, Aristophane ! Être combattu par un esprit tel que le tien, c’est encore une gloire, et qu’ils soient amis ou rivaux, les grands hommes sont toujours illustrés par les grands critiques.

ARISTOPHANE.

À la bonne heure ! et puisqu’on va commencer, — je pense que tu vas remplir ton rôle dans ma pièce, — laisse-moi parler un peu aux spectateurs, comme le chœur parle pour moi aux Athéniens.

MERCURE.

Va, et songe que la mode est passée de se vanter soi-même.

ARISTOPHANE, au public.

« Si quelque poète est assez hardi pour se louer lui-même devant vous, ô Athéniens ! qu’il soit fustigé par vos licteurs ! »

MERCURE, riant.

Fustigé ?…

ARISTOPHANE.

« Mais si quelqu’un a droit à des honneurs, je soutiens que c’est moi, moi, le plus grand des poètes et le plus célèbre dans l’art de la comédie ! »