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davantage son origine, son caractère héroïque et le sens poétique du mythe dont il est la personnification.

Quant à Omphale, c’est l’une des créations les plus ravissantes de l’art contemporain. Harmonieuse perfection de la figure entière, noblesse et grâce de l’attitude, exquise pureté des traits, elle possède ce qui captive, ce qui charme, ce qui séduit. La tête, le col, les épaules, des bras admirables, dont l’un retient sur sa gorge à demi nue sa tunique dénouée, sont dessinés et modelés avec une fermeté, une précision sans sécheresse qui n’appartiennent qu’à l’art le plus savant et le plus délicat. Rien n’est dur ni heurté, rien n’est indécis ni flottant. La figure de l’Amour est charmante. Sa pose est exquise de grâce et d’abandon, et l’on sent à son regard intelligent et malin qu’il se complaît dans son œuvre. Les draperies, cette pierre de touche de la grande peinture, sont du plus beau caractère, et ce n’est qu’un maître qui a pu composer celles qui recouvrent les genoux d’Omphale. Je l’ai dit, on ne trouvera dans cette belle créature ni l’innocence et la pureté d’une vierge, ni la sévère beauté d’une matrone. Ce n’est pas la femme idéale, c’est une femme qui se nomme Omphale, que M. Gleyre a douée de certains instincts, de certaines passions, de certains sentimens, d’un caractère particulier, d’une individualité marquée, qui représentent nettement la pensée et l’intention de l’auteur. Cette donnée railleuse et un peu sceptique étant admise, je ne crains pas d’affirmer que nul ne résistera à tant de séduction, « sa grâce est la plus forte. » Et ce sourire lui-même, n’en ai-je pas médit tout à l’heure? n’y a-t-il dans l’expression, féminine au plus haut degré, complexe et railleuse du visage de la reine, aucune trace d’émotion et de bonté? Bien fol est qui s’y fie j’en conviens, mais je ne voudrais pas en dire le dernier mot.

Du reste, que les philosophes et les moralistes discutent et contestent l’excellence du sentiment qui anime l’Omphale de M. Gleyre! leurs raisonnemens auront peu de prise sur l’esprit de ceux qui pensent que la beauté est le but suprême de l’art. Ce n’est pas à la conscience ou à la raison que s’adresse avant tout l’artiste. Il faut sans doute que sa pensée soit vraie, intéressante, humaine; mais il cherche moins à convaincre qu’à toucher. Il excite l’admiration, l’enthousiasme : il émeut, et lorsqu’il a montré à l’âme enivrée et ravie la forme parfaite de l’idée qu’il a rêvée, il a atteint le but qu’il se proposait. En contemplant cette belle et harmonieuse figure, je ne me souviens plus des amours du héros thébain et de la reine de Lydie. J’oublie l’ironie de l’une, l’abaissement de l’autre. Je ne tiens plus aucun compte du temps et des circonstances. Je me sens transporté dans un monde idéal, monde vers lequel l’imagination nous entraîne et que l’artiste est chargé de montrer à nos sens.

A l’égard de la couleur, les tableaux de M. Gleyre sont presque tous peints dans une gamme harmonieuse, mais très claire, et ce n’est pas sans raison qu’il a choisi la méthode qui lui permet mieux que toute autre de