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vernement ni la société russe, si l’on continue à vouloir traiter la Pologne comme les empereurs romains traitaient les premiers chrétiens. La société russe et son gouvernement ont montré surtout dans ces derniers temps pour la France une inclination qui nous honorait, dont nous leur étions reconnaissans. De quelle sympathie n’avons-nous pus accompagné l’empereur Alexandre dans ses sincères et vertueux efforts pour l’abolition du servage ! avec quelle joie ne l’avons-nous pas vu renoncer à l’affreux et funeste système de l’empereur Nicolas ! On a toujours, même en la combattant, rendu justice à l’esprit dont le prince Gortchakof animait la diplomatie russe. Les Russes n’ont jamais été accueillis en France avec plus de cordialité et de bonne grâce. L’empereur Alexandre, la société russe veulent-ils donc creuser de nouveau en Pologne un abîme entre eux et la France ? Comment la diplomatie russe pourrait-elle prendre devant l’Europe la cause des chrétiens d’Orient, si la situation actuelle de la Pologne devait durer ? Les Turcs ont-ils jamais fait de notre temps rien de pareil à ce que le gouvernement russe vient de tenter en Pologne ? Mais quoiqu’il y ait en Russie une sorte de vieux parti turc, le parti des anciens amis de l’empereur Nicolas, quoique les hommes de ce parti relèvent la tête, et à Moscou, à Saint-Pétersbourg, osent comparer l’insurrection polonaise à la révolte des ci payes, nous ne croyons pas que les horribles sentimens qui portent ces gens-là à comparer le patriotisme d’une nation chrétienne au fanatisme des instrumens de Nana-Sahib puissent prévaloir dans la généreuse jeunesse militaire, dans la société cultivée de Russie et dans le cœur de l’empereur Alexandre IL La Pologne est un grave problème pour la politique russe ; elle n’en viendra pas à bout avec les cruelles boutades du marquis Wielopolski ; elle ne peut le résoudre qu’en écoutant les inspirations les plus élevées de libéralisme et d’humanité.

N’est-il pas possible d’aider du dehors le gouvernement russe à sortir de cette difficulté d’une façon conforme aux sentimens de la civilisation européenne ? Nous aimerions à nous le persuader. Après avoir fait sentir à la Russie la puissance de la France, l’empereur Napoléon III a tendu une main amie à l’empereur Alexandre. L’état de la Pologne fournit à l’empereur Napoléon III l’occasion de rendre un service éminent à son allié, et de lui faire entendre des conseils vraiment amicaux. L’empereur Alexandre et la société russe pourraient profiter beaucoup à de tels conseils cordialement demandés. En tout cas, il leur importe plus de conserver leur place dans l’Europe civilisée que d’exercer sur la malheureuse Pologne les cruautés d’une nouvelle conquête ; ils feront donc mieux de ménager les sentimens unanimes de la France que de chercher une fragile sécurité dans des conventions militaires avec la Prusse, qui choqueraient le principe des nationalités, violeraient le principe de non-intervention, offenseraient notre droit public, et inquiéteraient la France dans ses intérêts et dans son honneur.

e. forcade.