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le cabinet de la reine est disposé à reconnaître la justesse des critiques de l’écrivain sur l’organisation anglaise. Aujourd’hui le contrat qui lie le gouvernement à sir William Armstrong vient d’être dénoncé. On a reconnu enfin, après y avoir gaspillé des centaines de millions, que ses inventions en artillerie ne sont que des choses impraticables, impossibles, et en même temps que l’on condamne définitivement le canon Armstrong, dont on avait fait tant de bruit, on ne condamne pas moins réellement la conception de l’amirauté en matière de bâtimens cuirassés. La nomination de M. Reed au poste, créé pour lui, de constructeur en chef de la marine est la meilleure preuve qui se puisse donner de la sûreté d’appréciation avec laquelle M. Raymond avait jugé l’organisation des arsenaux et de l’amirauté anglaise. Il aura eu raison théoriquement et pratiquement, comme les frégates cuirassées de M. Dupuy de Lôme auront eu raison du Warrior et du Black Prince, comme le canon rayé du colonel Treuille de Beaulieu aura eu raison du canon de sir William Armstrong. Ce sont là de beaux succès pour la France ; si chez nous on pouvait parler des affaires publiques comme on le fait de l’autre côté du détroit, quelle faveur ne s’attacherait pas aux noms de ces deux hommes si distingués, et que la Revue est heureuse d’avoir contribué pour sa part à mettre en lumière !

Nous ne désirons pas moins que l’événement donne raison à M. Raymond sur un autre point. Il réclame vivement la formation d’une escadre de bâtimens cuirassés à substituer à l’ancienne escadre d’évolution qui subsiste encore officiellement, qui coûte toujours de grosses sommes au budget de la France, mais qui depuis tantôt un an n’existe plus que d’une façon nominale, car personne n’en a entendu parler malgré l’importance des événemens qui sont survenus dans le Levant et dans la Méditerranée. Qui donc parmi le public pourrait dire où se trouve notre escadre d’évolution, dans quels parages elle navigue ? qui même peut-être sait qu’elle existe encore ? Il n’y aurait pas seulement économie à la remplacer par une escadre de bâtimens cuirassés, il y aurait encore et surtout avantage au point de vue de ces arts de la marine auxquels, nous croyons l’avoir démontré, la France a fait faire de très grands progrès.

Quoi qu’il en soit, c’est sur la question des dépenses militaires que se livrera en Angleterre le grand combat politique. Par les réductions qu’il propose, par la condamnation du système de sir William Armstrong, par la reconstitution d’un corps du génie maritime, le ministère Palmerston a déjà fait de très grandes concessions, et il n’est pas impossible que ces concessions ne le raffermissent. L’opposition se vante, en réunissant toutes ses nuances, de pouvoir mettre en ligne une majorité de 15 à 20 voix dans la chambre des communes ; nous doutons encore cependant que toutes ces fractions soient d’accord pour user de leur avantage numérique et renverser le ministère. M. Cobden et M. Bright se laisseront-ils pousser par leur dépit contre lord Palmerston jusqu’à une coalition avec M. Disraeli ?