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manité, le jour où elle a décrété l’émancipation des esclaves. Il y a encore des politiques profonds qui attribuent au gouvernement anglais des desseins machiavéliques dans ce grand acte, comme il y en a pour croire que les Anglais ne boivent du thé qu’afin de ruiner le commerce des vins de France. La vérité est que le gouvernement anglais ne fut pour rien dans l’affranchissement des noirs, qui lui coûtait 500 millions et dérangeait le budget ; il eut la main forcée par les sociétés bibliques et philanthropiques, et l’acte d’émancipation fut emporté d’assaut par la politique sentimentale. Ils en sont bien revenus aujourd’hui, nos pieux alliés ! Wilberforce est rentré dans la catégorie des ganaches, et le calicot a détrôné la Bible. Dieu du coton, tu l’emportes !

La politique sentimentale, c’est aussi celle que le grand parti libéral en France a prêchée pendant quarante ans en faveur de l’Italie, et qu’il renie aujourd’hui en se frappant la poitrine. C’est aussi celle qui répondit autrefois au cri de désespoir des Grecs, celle que chantèrent et pour laquelle moururent les plus grands poètes de notre siècle, car cette fois encore l’intervention ne fut point une œuvre spontanée des gouvernemens et du monde officiel ; ils eurent la main forcée par l’opinion, ils furent entraînés par le courant de la poésie, qui remontait naturellement vers sa source antique pour s’y abreuver. Il ne faut point que la diplomatie européenne se fasse un mérite d’avoir fondé la Grèce moderne ; ce ne fut pas sa faute. On sait que la victoire de Navarin fut le résultat d’un malentendu ou d’un coup de tête, et le vieillard sagace que les Anglais embaumaient de son vivant, le duc de Wellington, appela cette victoire un événement malencontreux, untoward event. Comme on était jeune alors ! et comme on en est revenu ! Childe Harold, les Orientales quelles folies de jeunesse ! Byron, Lamartine, Victor Hugo, quels fous du logis !

La Grèce porte aujourd’hui la peine de cette réaction et de ce triomphe de la prose. Rien n’est plus perfide, et malheureusement rien n’est aussi funeste que ces vengeances de M. Prudhomme. Interrogez cet immortel plat-pied sur la prétention qu’ont les Romains d’être maîtres chez eux, il vous répondra que Rome est la capitale de son âme, et ce mot sera le plus beau jour de sa vie. Demandez-lui son avis sur la révolution grecque, il vous répondra classiquement que ces Athéniens sont bien les fils de leurs pères, qu’ils ne sont jamais contens, et qu’ils dérangent l’équilibre de l’Europe et le sien. Nous le verrons bientôt accuser les Grecs d’ingratitude comme les Italiens. En effet, les grandes puissances n’avaient-elles pas pris soin de leur façonner un petit royaume, de leur choisir un roi dans une de leurs familles souveraines, et même de leur prêter quelque argent pour entrer en ménage ? Il est vrai qu’elles avaient fait le