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autour d’elle, comme les médecins qui se prennent à douter de la médecine en écoutant leurs confrères. Loin de là, elle semble croire que si l’éducation peut aider au développement des dispositions et des aptitudes que nous apportons en naissant, elle est impuissante à les détruire ou simplement à les modifier, et que nous sommes inévitablement et forcément ce que la nature nous a faits. C’est une forme nouvelle de fatalisme, et à prendre au pied de la lettre les expressions qu’emploie Mme Stowe, à presser ses argumens à la rigueur, on serait conduit à lui demander quelle différence elle établit entre l’intelligence de l’homme et le pur instinct des animaux. S’il est impossible au chien courant de ne pas chasser, au lapin de ne pas se terrer, au cygne et à ses congénères de ne pas chercher l’eau, personne n’admettra que tel jeune homme soit inexorablement condamné à être fantasque et exigeant, et que telle jeune fille soit assurée de n’être jamais ni capricieuse ni coquette, parce qu’une puissance irresponsable autant qu’irrésistible, la nature, en a ainsi décidé. Gardons-nous d’insister et de nous mettre en frais de métaphysique à propos d’une agréable histoire d’amour; nous risquerions de prendre trop au sérieux ce qui peut n’être qu’un pur jeu d’esprit. Qu’a-t-on le droit d’exiger d’un romancier, sinon de garder dans les faits ou les sentimens qu’il retrace ce degré de vraisemblance sans lequel un récit perd tout intérêt ? Les théories et les doctrines sont faites pour les gros livres que couronnent les académies; le mieux est d’en mettre le moins possible dans ces œuvres légères destinées à délasser l’esprit, et où la prédication n’est tolérable qu’à la condition de se déguiser et de s’effacer.

Qu’importe donc que Mme Stowe n’ait rien prouvé ni pour ni contre l’éducation dans les deux parties de son livre? Que gagnerions-nous à lui démontrer avec méthode que l’enchaînement de causes et d’effets qu’elle a cru établir n’a rien de réel, et qu’elle aurait pu changer du tout au tout les incidens et le dénoûment de la seconde partie, sans que personne soupçonnât qu’elle se contredisait elle-même ? Le point essentiel était que l’auteur nous divertît ou nous émût par l’histoire qu’elle nous avait promise. « Nous allons dire adieu à nos deux petits amis, — ainsi se terminait la première partie, — et quand dix années auront passé sur leurs têtes, quand Mosès aura vingt ans et que Mara en aura dix-sept, nous reviendrons vous raconter leur histoire, parce qu’alors il y aura une histoire à raconter. » C’est cette histoire qu’on cherche vainement dans le nouveau volume que Mme Stowe vient de publier. On n’y trouve ni complications, ni aventures, ni péripéties imprévues, soit que l’auteur, distrait ou découragé par les événemens contemporains, ait vainement fait appel aux ressources de son imagination, soit que le temps lui ait