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avaient donné lieu de penser que Mme Stowe avait sur l’influence de l’éducation première une théorie dont le roman serait le développement et la démonstration. Cette supposition devait venir d’autant plus naturellement à l’esprit que, fille d’un instituteur éminent, Mme Stowe a été élevée par une sœur qui a beaucoup écrit sur l’éducation, qu’elle-même a professé dans le pensionnat de sa sœur, et que son mari appartient au haut enseignement. Quoi de plus simple que Mme Stowe voulût traiter à son tour des questions qui lui sont nécessairement familières, et qu’elle prît la forme la plus appropriée à son talent?

Il n’en était rien cependant, et cette seconde partie de la Perle de l’île d’Orr s’ouvre par une philippique des plus vives contre les gens qui se mêlent d’éducation ou qui en écrivent. Il est impossible de tirer plus vaillamment sur les siens :


« C’est l’ordinaire, dit Mme Stowe, des gens qui écrivent des traités sur l’éducation de débiter leurs règles et leurs théories d’un air de parfaite satisfaction, comme si une créature humaine était une de ces choses qui se peuvent fabriquer avec certains matériaux combinés d’après une recette infaillible, — une fournée de pain par exemple. Prenez, vous dit-on, un enfant; faites ceci et cela pendant tant d’années, et vous obtiendrez un individu complètement formé. En réalité, l’éducation dans la plupart des cas n’est autre chose qu’une lutte aveugle des parens et des tuteurs contre les évolutions d’une nature énergique, déterminée, obstinée, inaccessible aux influences du dehors, qui cherche, par une loi irrésistible de son être, à se développer elle-même et à conquérir la liberté de se manifester à sa propre façon. »


Après avoir invoqué à l’appui de son opinion cette ironie fréquente du sort qui donne au fils d’un pasteur l’amour des armes et au fils d’un marchand le goût des arts ou de la poésie, comme si une fée malicieuse prenait plaisir à changer les nouveau-nés de berceau, Mme Stowe en vient à conclure que le meilleur système est de n’en point avoir :


« En somme, dit-elle, ceux qui réussissent le mieux à élever les enfans sont les gens tolérans et faciles, qui suivent instinctivement la nature et acceptent sans trop de curiosité tout ce qu’elle leur envoie, ou bien encore les personnes, en bien plus petit nombre, qui savent discerner les dispositions naturelles et adopter les procédés les plus propres à leur culture et à leur développement, qui peuvent, à force de prudence et de soin, façonner chaque caractère conformément à un idéal véritable et distinct. »


Ainsi Mme Stowe n’a point de plan d’éducation à nous proposer, peut-être pour en avoir entendu débattre un trop grand nombre