Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/972

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que les anciennes provinces polonaises incorporées à la Russie seraient réunies au royaume. Ceux qui avaient proposé cette adresse se rendirent chez le comte André, qui était l’homme naturellement désigné pour être leur interprète auprès du grand-duc. Au fond, le marquis Wielopolski surveillait ce mouvement, et sa pensée, qu’il ne dissimulait même pas, était de le laisser mûrir, de laisser la manifestation s’accomplir, pour mettre la main sur un flagrant délit de crime d’état, et faire juger avec éclat tous ceux qui s’y étaient associés. Ce calcul d’une passion vindicative fut déjoué d’abord parce que le grand-duc Constantin, plus maître de lui, aimait mieux, comme il le disait, prévenir que faire de ces actes de force, puis parce que le comte André, avec une finesse naturelle et sa préoccupation de légalité, engageait tous les propriétaires à ne rien signer; mais la manifestation n’était pas moins significative. Le comte André était appelé chez le grand-duc et prévenu qu’il devait se rendre à Pétersbourg pour s’expliquer devant l’empereur. Deux heures après, des officiers de gendarmerie tombaient chez lui pour le prendre et le conduire dans son voyage. C’est à la suite de cette excursion fort involontaire, très protégée à Pétersbourg, qu’avait lieu, on le sait, une entrevue entre l’empereur Alexandre II et le comte André Zamoyski. Je n’ai point évidemment la prétention de pénétrer le secret d’une conversation ainsi engagée. Ce qui en a été connu à Saint-Pétersbourg laisse entrevoir l’attitude naturelle des deux personnages : l’un hésitant et perplexe, l’autre défendant avec une vive et ferme honnêteté la cause de son pays. Tantôt l’empereur Alexandre paraissait comprendre le mécontentement de la Pologne et déplorer la fatalité qui pesait sur sa politique, tantôt il en revenait à dire que décidément il n’y avait d’autre moyen pour gouverner les Polonais que le système de son père, la terreur. Le comte André répondait que cela avait peu servi, et rappelait la politique toute différente, les engagemens et les promesses de l’empereur Alexandre Ier ; mais Alexandre II était peu sensible à ces souvenirs de son oncle, qu’il traitait de chimérique. Embarrassé du reste, il répétait plus d’une fois qu’il demanderait à Dieu de l’éclairer. L’empereur Alexandre terminait l’entretien en disant à son interlocuteur : « Je ne vous retiens ni à Pétersbourg ni dans une prison; je ne veux pas faire de vous un martyr. Vous irez à l’étranger, et j’espère que vous ne me traiterez pas en ennemi. — Sire, dit le comte André, j’emporte votre promesse de demander à Dieu de vous éclairer. » Le comte Zamoyski partait en effet pour l’étranger; le marquis Wielopolski est resté tout-puissant à Varsovie. Il a peut-être respiré plus librement le jour où il n’a plus rencontré devant lui cette honnête et ferme figure. Ce qui est fait pour