Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/971

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heurs » dans les conditions actuelles, et c’est bien là, ce me semble, une illustration de ce que le marquis Wielopolski appelle « le gouvernement improductif. » Depuis la guerre de Crimée cependant, tout recrutement avait été suspendu dans le royaume comme en Russie, quand l’ordre d’une levée générale est survenu il y a quelques mois. Alors on s’est ému de nouveau en Pologne; on a frémi de ces départs sans retour. Il y avait même à côté une raison de plus, c’est que le recrutement allait jeter un trouble profond dans le travail pratique d’émancipation des paysans, et cette raison, les conseils de district l’ont invoquée auprès du gouvernement à Varsovie. Qu’a fait alors le marquis Wielopolski avec ses habitudes de calcul, ses enivremens de force et sa pensée secrète d’étendre les foyers d’agitation? Il a saisi l’occasion de frapper un coup politique. Il a reconnu et a facilement fait admettre à Pétersbourg la nécessité d’exempter les campagnes de la conscription, mais en adoptant une combinaison qui mettait dans ses mains une arme terrible et assurait toujours au gouvernement russe son contingent militaire. Comme il n’y avait aucune raison d’étendre aux villes, l’avantage accordé aux campagnes, c’était dans les villes qu’on prendrait les soldats, et comme dans ces conditions le recrutement devenait une opération exceptionnelle qui sortait des règles ordinaires, c’était l’administration qui restait chargée de désigner les jeunes gens appelés ou condamnés au service militaire. Le marquis Wielopolski avait donc atteint son but en s’armant contre les élémens agitateurs rassemblés dans les villes, contre la partie éclairée de la population qui lui résiste, et qui était désormais livrée à sa discrétion; mais en même temps il blessait profondément le pays dans un de ses plus vifs instincts, et il ne faisait qu’amasser contre lui de nouvelles colères.

N’est-ce point aussi un entraînement de cette politique à outrance, où la force n’exclut pas toujours la ruse, qui a conduit à l’éloignement du comte André Zamoyski? Le crime du comte André était uniquement après tout de rester l’expression vivante d’une idée modérée, mais ferme, en présence de la personnalité superbe du marquis Wielopolski, et de n’avoir pas cru que tout était sauvé parce qu’un grand-duc était arrivé à Varsovie. Au mois d’août 1862, le grand-duc Constantin adressait au pays une proclamation qui était un appel à tous les concours et à tous les dévouemens patriotiques. Ce fut l’origine d’une manifestation qui n’avait, à vrai dire, rien que de simple. Plus de trois cents propriétaires se réunissaient à Varsovie pour répondre à cet appel, et ils rédigeaient une adresse où ils promettaient en effet leur concours à deux conditions : c’est que la Pologne retrouverait ses institutions nationales distinctes, et