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meur du marquis Wielopolski, de telle sorte que cet homme singulier, rude et suspect aux Polonais, n’est pas moins parfois pour les Russes une énigme irritante par tous ses procédés, et qu’il pourrait bien y avoir du vrai dans ce qu’on a dit, que l’empereur Alexandre n’avait consenti à lui livrer le gouvernement civil du royaume qu’en plaçant au-dessus de lui le grand-duc Constantin, Quelle est donc sa force? C’est sa volonté, une irrécusable vigueur d’intelligence et de caractère mise au service d’une expérience qui est peut-être la dernière pour la Russie vis-à-vis de la Pologne, après laquelle du moins il ne reste plus que l’alternative entre une justice plus complète et une recrudescence des gouvernemens militaires.

Ce n’est point évidemment une tentative vulgaire, et à saisir de plus près toutes les pensées qui s’agitent dans l’esprit du marquis Wielopolski, cette lutte engagée avec l’impossible, on a sous les yeux un système combiné et pratiqué avec une surprenante énergie. Ce n’est point dans tous les cas la conséquence qui manque à ce système, dont les déductions ne s’écroulent que devant l’image souveraine du droit. Le marquis Wielopolski, je l’ai dit, est fier de sa logique. Tout se tient ici. Que peut la Pologne dans la situation qui lui est faite? Où est sa ressource? — L’Occident! Elle lui a adressé des appels désespérés, et elle n’a point été entendue; elle a essuyé les dédains des puissans et des forts. — Peut-elle compter uniquement sur elle-même? C’est la plus vaine espérance de prétendre avoir raison par les armes, par l’insurrection, de trois grands états. Entre ces trois maîtres cependant, où est le plus antipathique, le plus dangereux? Il est en Allemagne, non-seulement dans les cabinets liés par la tradition des partages, mais encore plus dans l’ambition de la race elle-même, telle qu’elle s’est manifestée en 1848. Il ne reste donc qu’à se tourner vers la Russie, à s’allier à elle.

Autre face de cette situation : lorsque survint la défaite de 1831, on eut tort de s’abandonner, de se réfugier dans une retraite hostile ou dans l’émigration. Ces trente mille personnes des classes éclairées qui émigraient, dit le marquis, c’était la lumière qui disparaissait du pays. On sacrifiait l’intérêt social à l’intérêt politique de l’indépendance. On eut tort encore en 1855 de ne point profiter de l’adoucissement et des velléités réformatrices d’un commencement de règne. Le mouvement de 1861 éclatant, on ne pouvait renouveler la même faute. Il fallait donc, dans l’intérêt social, accepter la situation pour en tirer le seul parti possible par l’alliance avec la Russie, ramenée à une intelligence plus juste de la nécessité; mais dans quelles limites pouvait-on s’allier avec la Russie? Si on lui demandait ce qu’elle ne pouvait donner, on n’aurait rien. Ce qu’on pouvait obtenir au contraire, c’était l’autono-