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Quel est au contraire le rôle du marquis Wielopolski? C’est la lutte d’une volonté assurément puissante, mais toute personnelle, pour se frayer une issue, pour arriver à dominer ce mouvement, à lui imprimer son cachet. Il s’impose dès le premier moment, il veut s’imposer aux Polonais, en leur dictant une adresse qui commence par un acte de repentir du passé, de la révolution de 1830, et, cette adresse étant écartée, il refuse avec hauteur de souscrire à celle de tout le monde. En même temps il s’impose aux Russes en désarroi au nom de cette agitation polonaise elle-même, contre laquelle la force est impuissante. Une fois au pouvoir par sa nomination au poste de directeur de l’instruction publique et par le premier acte de réforme de l’empereur Alexandre II, au mois de mars 1861, il entre en quelque façon dans son domaine. Il le dit au reste lui-même : il est directeur de l’instruction publique; cependant les affaires de l’intérieur ont aussi besoin d’une énergique impulsion, et il prend l’intérieur; la justice a également besoin d’une main forte, et il prend la justice. Il n’a point d’auxiliaires, il sent le vide se faire autour de lui, et il suffit à tout. D’un côté, il dissout la Société agricole, dont il reconnaît les services, sous prétexte qu’il ne peut admettre un état dans l’état; il s’associe aux répressions sanglantes du 8 avril; il gourmande le clergé. D’un autre côté, il engage avec ce qu’il appelle « l’ancien système, » avec les autorités russes elles-mêmes, un conflit de tous les instans, pour faire prévaloir une ombre de légalité, le nouveau système de réformes, une certaine autonomie administrative. Il tient tête au successeur du prince Gortchakof, le vieux général Souchozanett, qui ne comprend rien à cet étrange personnage. Un instant, à l’automne de 1861, il semble avoir vaincu le « vieux système » avec Souchozanett et triompher par l’arrivée à Varsovie d’un nouveau lieutenant, le comte Lambert, envoyé en messager de paix; mais les scènes du 15 octobre éclatent, la réaction triomphe plus que jamais, et alors, assez fier pour ne pas accepter sa défaite, assez perspicace pour ne pas s’associer à une compression sans limites, il se retire un moment sous sa tente ; il se rend à Saint-Pétersbourg en négociateur, et quelques mois après il revient à Varsovie, maître du pouvoir, avec le grand-duc Constantin. Ce qui se passait à Pétersbourg, le marquis lui-même le dit ou le laisse entrevoir. « Il y eut un moment de lutte terrible entre les partis à Saint-Pétersbourg, chacun comprenant autrement les intérêts de la Pologne, son rapport avec l’empire et sa position dans la famille des peuples européens. Partout l’abdication des vieux systèmes est pénible et dangereuse. C’est ainsi que dans l’empire abdiquait le système persistant et opiniâtre des gouvernemens militaires. Le marquis disait déjà presque adieu à ses espérances ; il s’apprêtait à