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sa première création matérielle jusqu’à cette effigie sculpturale qui était placée sous son inspiration et par ses soins, il y a quelques années, à l’entrée de la crypte de l’église de Sainte-Croix à Varsovie, qui y est encore, et dont les Russes ne saisirent pas le sens peut-être au premier moment : c’est un Christ qui plie sous la croix et qui relève la tête d’un effort désespéré, montrant du geste le ciel; au-dessous est écrit ce mot : sursum cor! Image aussi nouvelle que touchante des pays qui luttent et des hommes qui, en ayant la foi des œuvres, ont gardé l’espérance lorsque l’espérance ne semblait plus permise!

Rien ne diffère plus de cette physionomie simple, sérieuse, mêlée d’ingénuité austère et de finesse intelligente que cette autre figure aux traits violemment accusés du marquis Wielopolski, comme aussi rien n’est plus différent que la vie de ces deux hommes, qui n’ont eu de commun que d’être de la même génération, de représenter un instant leur pays dans une révolution nationale qui faisait un inutile appel à l’Europe, et de n’émigrer ni l’un ni l’autre après la défaite. Le marquis Wielopolski est visiblement un de ces hommes qui aiment la lutte, qui la recherchent, non pour les émotions qu’elle éveille, mais par cet instinct des esprits entiers et dominateurs qui se plaisent aux choses difficiles, qui s’affirment par la haine, l’impopularité et les obstacles; sa physionomie même est le reflet de cette nature. Le regard est dur et impérieux; l’ensemble du visage est massif et exprime la force; tout chez lui porte la marque de l’opiniâtreté, de la passion du commandement, d’une confiance superbe. C’est bien l’homme qui, dès sa jeunesse, à l’université, disait à un de ses compagnons d’étude à qui l’on avait donné pour sujet d’une thèse morale et littéraire la présomption : « J’espère bien que vous allez soutenir que la présomption est une vertu. » C’est l’homme qui dit encore aujourd’hui dans sa brochure : « La Providence donne à ses instrumens des forces grandes et durables, le marquis Wielopolski en avait en lui une immense provision... Le triomphe des hommes choisis par la Providence est d’autant plus grand que l’accueil qui leur est fait par les nations est plus mauvais... » Une circonstance de famille n’a pas peu servi peut-être à développer en ce personnage étrange cette passion intense de la lutte que je signalais, en lui donnant une forme particulière. La fortune que le marquis Wielopolski possède aujourd’hui, et qui est considérable, consiste surtout dans un majorat qu’il tient d’un de ses aïeux par les femmes, le marquis Myszkowski. Ce titre même de marquis, unique peut-être en Pologne et en Russie, et qui ajoute un trait exceptionnel de plus à cette vigoureuse individualité, ce titre est un don du pape Clément VIII à un Myszkowski, qui tenait aussi du duc de