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organe humble et simple comme lui-même, un journal, les Annales d’Agriculture. Ce fut le germe lent à mûrir de la Société agricole, formée d’abord des membres du comité du journal, de cette société devenue bientôt une puissance et devant laquelle le marquis Wielopolski, qui l’a dissoute, ne put s’empêcher de s’arrêter comme devant l’image imprévue de la patrie. « L’organisation de la Société agricole, dit-il, fut d’une utilité inouïe... Rappelons-nous seulement la période de notre histoire de 1831 à 1855, Après tant d’années, c’est pourtant pour la première fois qu’on voit sortir du sein de la société une corporation, une institution nationale, qui, ayant à peine abordé les intérêts de l’agriculture, a dû toucher à toutes les conditions de la richesse nationale. Pour accroître la richesse du pays, elle voyait la nécessité de moraliser et d’éclairer; elle devait par conséquent s’occuper des mœurs relâchées, de l’instruction publique; elle devait être aux prises avec l’administration, avec mille difficultés... Cette institution unique, après avoir rallié l’intelligence nationale, mettait rapidement les membres au courant des affaires politiques et sociales, réveillait la vie publique. A défaut d’autre chose, elle réunissait toutes les capacités, tous les vœux de la nation et tous les efforts des citoyens pour relever la société chancelante, et après avoir rassemblé dans son sein tant d’élémens divers, elle devait, malgré elle, remplacer toutes les institutions nationales de l’époque antérieure à l’année 1831... »

Quand les résultats sont apparus sous la forme d’une véritable résurrection nationale, on a compris qu’ils ne pouvaient être absolument improvisés; on a vu à la lumière du jour le sens et la portée de ce mouvement. Au moment où il commençait, et pendant qu’il s’accomplissait encore dans l’obscurité, on ne se doutait pas qu’il allait conduire au saisissant réveil qui en a été comme le couronnement. Le comte André ne s’en doutait pas lui-même; il agissait sans calcul, sans préméditation arrêtée, surtout sans l’ambition d’un rôle, et c’est ainsi qu’en s’identifiant au pays, à ses intérêts, à sa vie de tous les jours, il est devenu comme le centre et le lien naturel de tous les efforts, la conscience vivante de la nation, ce personnage que le peuple en Pologne, que tout le monde appelle avec une familiarité confiante monsieur André. Physionomie expressive et curieuse assurément! homme étrange, mêlant la sérénité de l’homme bien né à une secrète tristesse, hardi à la fois et modéré, indulgent et fin, qui a résolu dans notre temps, le problème de faire de la sincérité et de l’honnêteté une politique, d’oser tout dire sans sédition, de vivre pendant vingt-cinq ans sous le régime le plus dur sans s’abaisser, d’être populaire sans y songer, de mêler à la sagacité pratique un sentiment moral inébranlable! Son action s’étend de