Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/947

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas affaiblir la Russie, dont nous pouvons avoir besoin un jour ou l’autre contre la France. Vous êtes des alliés pour les Français; arrangez-vous au plus vite avec l’empereur Nicolas. » C’est avec ces difficultés que le marquis Wielopolski, le premier des envoyés polonais, avait à se débattre, et s’il ne réussissait pas, s’il était réduit à n’avoir avec les ministres anglais que quelques entrevues mondaines ou clandestines, qui ne suffisaient pas à sa fierté de gentilhomme et d’agent d’un gouvernement national, il luttait du moins avec toutes les ressources d’un esprit fortement nourri, supérieurement initié à la situation de l’Europe et absolument étranger à toute déclamation. Il résumait sa mission dans un mémoire adressé à lord Palmerston, à peu près inconnu, et qui est, à vrai dire, un étrange exorde du système qu’il suit aujourd’hui à trente ans de distance.

Ce mémoire du marquis Wielopolski à lord Palmerston était assurément l’œuvre d’une forte intelligence politique, la plus saisissante démonstration des dangers créés au continent par les partages et par la prépondérance russe, de la nécessité du rétablissement de la Pologne, non-seulement au point de vue du droit, mais encore au point de vue de tous les intérêts européens. En un mot, c’était la question polonaise vue sous toutes ses faces, dans toute son extension, dans ses rapports avec la situation du monde, et pratiquement résolue par une démonstration collective, arrêtant l’effusion du sang d’abord pour arriver à fonder un ordre nouveau. La Russie! cela coûtera sans doute à son orgueil; mais elle cédera devant une manifestation décisive, elle reprendra son rôle naturel; « elle commencera à chercher sa grandeur dans les améliorations intérieures et dans un développement calme et progressif de ses ressources locales, au lieu de la chercher dans les envahissemens et les conquêtes. » L’Autriche! elle n’avait jamais été éloignée de se prêter à la réparation d’une iniquité qui pesait toujours sur elle en lui créant un périlleux voisinage avec la Russie, et puis en ce moment même on ne désespérait pas de la tenter par l’appât d’une couronne pour un archiduc. La Prusse résisterait peut-être d’abord; mais qui ne voit que, l’Autriche entrant dans une alliance européenne pour la reconstitution de la Pologne, la Russie réduite à céder devant la manifestation de toutes les volontés, la Prusse à son tour serait fatalement conduite à se résigner? D’ailleurs qu’ont donc gagné la Prusse et l’Autriche au partage? Elles n’ont gagné que d’être plus vulnérables, « de s’incorporer un ennemi continuel, des sujets qui deviennent les alliés naturels de chaque nouvel ennemi de ces états, et auxquels on ne peut pas même reprocher d’avoir tort en agissant de la sorte... L’Autriche et la Prusse gagneront plus de force véritable par la considération qui rejaillirait sur elles