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comme il est résolu à tenir celle qu’il a donnée au roi Charles X. » Il arrivait ainsi que cette révolution, impatience d’héroïsme ou témérité, si l’on veut, à n’observer que les forces en présence, tirait de la situation même un sens profondément européen.

C’est dans ces conditions, au milieu d’une Europe ébranlée et indécise, que la Pologne se jetait dans la lutte, opposant les armes aux armes, la diplomatie à la diplomatie. Deux des plus jeunes membres de cette diplomatie étaient justement le marquis Alexandre Wielopolski-Myszkowski et le comte André Zamoyski, l’un né le 15 mars 1803, l’autre le 2 avril 1800, le premier d’une maison de haute et riche noblesse, quoique ayant peu marqué dans l’histoire nationale, le second de cette famille des Zamoyski dont les traditions se mêlent à la vie de la Pologne tout entière, et qui comptait encore sept frères dans cette guerre nouvelle d’indépendance. L’un, le marquis, alla à Londres; l’autre alla à Vienne. Ils avaient la même mission, celle de faire reconnaître une Pologne indépendante, ou tout au moins de provoquer une de ces interventions ou de ces médiations qui donnaient en ce moment la vie à une Grèce ou à une Belgique. La diplomatie polonaise avait malheureusement fort à faire. L’explosion du sentiment libéral en Europe était en apparence une condition merveilleusement favorable : au fond, tout était péril et impossibilité, en Angleterre surtout, où l’illusion du patriotisme le plus confiant ne pouvait tenir longtemps devant la résolution froide et arrêtée de s’abstenir, et ici je voudrais bien tirer de l’obscurité un fait qui, pour être banni des annales officielles, n’en a pas moins de valeur.

Quand on parle de la Pologne et de ses ébranlemens périodiques, il semble toujours que l’intérêt soit le même pour l’Angleterre et pour la France, que ce soit uniquement pour nous une question de sentiment, et qu’il n’y ait en un mot rien de politique dans l’instinct qui entraîne l’opinion publique en France vers la Pologne. L’Angleterre, avec ses meetings, ses discours et ses dépêches, ne s’y est jamais trompée, et elle ne s’y trompe point encore. Il n’y a pas longtemps qu’un diplomate anglais des plus élevés disait naïvement à des Polonais : « Que voulez-vous enfin? Quelles sont vos idées, et pourquoi vous acharner à ce mirage d’indépendance? Nous ne pouvons vous aider en cela : ce serait trop d’avantage pour la France. » Que répondait-on à Londres dès 1831 à toutes les démarches, à toutes les instances des envoyés polonais? M. le comte Walewski, qui succéda au marquis Wielopolski, pourrait, je crois, le dire. «Vous êtes, répondait-ou, des hommes fort distingués et une vaillante nation pour lesquels nous ne ferons rien. Ce n’est pas la Russie qui nous effraie aujourd’hui, c’est la France; nous ne voulons