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que nul n’osa jamais absoudre, qui a été plus d’une fois désavoué par les héritiers de ceux-là mêmes qui l’ont accompli, qu’on n’a enregistré dans les traités qu’en s’excusant et en se sentant une certaine rougeur au visage, qui se maintient pourtant par la cruelle logique des ambitions et des intérêts complices, mais contre lequel s’élève une tradition invariable de résistance et de protestation.

Comment donc se résoudra ce problème toujours débattu, devant l’Europe émue et hésitante, entre une domination aussi peu sûre de son droit que de sa durée et une nation dont l’incorruptible vitalité défie toutes les épreuves ? Comment réussira-t-on à pacifier la Pologne? S’il ne s’agit que d’une tranquillité matérielle du moment, tout est dit, la force est là, et les Polonais ne pourraient aller au combat que comme ils iraient au supplice; mais cette autre pacification qui n’est due qu’à des moyens moraux et politiques, comment l’obtiendra-t-on? sera-ce par quelque acte d’intelligente et libérale justice, rouvrant l’avenir à une nation dans l’attente? sera-ce par une politique plus habile, cherchant à réconcilier les vainqueurs et les vaincus sous un pacte systématiquement maintenu et resserré? C’est là ce qui s’est agité et ce qui s’agite encore dans tout ce qui se produit à Varsovie depuis deux ans, dans ce mouvement d’hommes et de choses qui a fait passer comme dans un saisissant éclair toute une société frémissante et passionnée, qui, après avoir eu une période d’éclat extérieur, semble rentrer dans la région de la lutte obscure et laborieuse, et qui vient aboutir en se personnifiant à ce double fait où se révèle toute une situation : — l’exil déguisé, l’internement à l’étranger du plus populaire des Polonais contemporains, le comte André Zamoyski, et l’omnipotence ministérielle de cet autre Polonais hautain, le marquis Wielopolski, sous la direction d’un grand-duc messager de la pensée impériale à Varsovie; — deux hommes, plus que deux hommes à vrai dire, deux idées, deux politiques se développant parallèlement à travers ces agitations récentes, deux types supérieurs de la vie nationale observée dans ce qu’elle a de simple, de permanent, et dans une de ces contractions douloureuses d’où s’élancent parfois tout armées les personnalités violentes.

Tout s’enchaîne et s’éclaire en quelque sorte d’une lumière intérieure dans cette histoire d’un siècle qui conduit aux événemens d’aujourd’hui, où domine un trait ineffaçable. Aucun pays du monde peut-être n’a plus manqué d’une forte institution politique que la Pologne dans sa dramatique existence, et c’est par là qu’elle s’est trouvée désarmée le jour où l’ennemi à trois têtes a marché sur elle. Alors elle n’eut plus à opposer à la complicité de redoutables ambitions que les convulsions de son héroïsme et la pensée tardive ou