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comprendre l’embarras des ingénieurs chargés de lui résister. À la Pointe-de-Grave, les courans, qui viennent se briser l’un contre l’autre pour heurter ensuite leur lames entre-croisées sur l’extrémité lie la péninsule, produisent pendant les gros temps une effroyable mêlée de flots que les navires ne traversent point sans danger. À l’anse des Huttes, les vagues, poussées comme d’énormes catapultes contre la base des dunes, n’obéissent, il est vrai, qu’à l’impulsion d’un seul courant ; mais à ces vagues vient s’ajouter parfois l’action de ces terribles lames de fond qui bouleversent si énergiquement les plages. C’étaient là les obstacles qu’il fallait surmonter, c’était là cette mer à laquelle on devait interdire d’aller plus loin ! Avant de se mettre à l’œuvre, on entreprit de longues recherches pour connaître approximativement les lois spéciales qui régissent les eaux désordonnées du golfe ; mais toutes les études préparatoires n’empêchèrent pas les opinions individuelles d’entrer en conflit, et peut-être la divergence de vues fut-elle cause d’une certaine hésitation dans la création du plan. Cette hésitation, d’ailleurs si naturelle en présence de semblables difficultés, a dû nécessairement se retrouver plus tard dans l’exécution, d’autant plus que depuis vingt ans le personnel des ingénieurs a plusieurs fois changé. Il en résulte dans l’aspect général des travaux quelque chose d’incohérent et d’incomplet. En certains endroits, on croirait avoir sous les yeux, non pas un ensemble dont tous les détails doivent concourir au même but, mais plutôt des constructions éparses n’ayant entre elles aucun rapport.

La partie la plus pressée de l’œuvre consistait à masquer la partie faible de l’anse des Huttes. On emprunta aux Frisons l’idée de ces épis en pierres et en palissades qu’ils enracinent au pied des monticules du rivage, et prolongent au loin dans les flots perpendiculairement à la côte. Pour protéger à la fois la plage de l’anse et la terre plus avancée qui s’étend à 1 kilomètre vers le sud, on construisit treize jetées parallèles, distantes en moyenne d’environ 200 mètres et longues de 160 à 180 mètres. Ces épis se composent de levées d’une argile compacte, revêtues de pierres solidement agencées. Recouvertes à leur origine par la base des dunes, elles arrondissent au-dessus de la plage leur vaste des construit en forme de voûte, et se terminent du côté de la mer par une espèce de plateau très élargi, qui va rejoindre le fond de l’eau sous un angle aigu. L’extrémité maritime de chaque épi est cuirassée contre l’assaut des vagues par des fascines en bois de pin, que retiennent des pieux boulonnés s’enfonçant à 5 mètres dans le sable. Tressées ensemble comme une énorme natte, ces fascines entre-croisées n’opposent qu’un seul et puissant grillage à la violence des lames : plus fortes qu’un mur de pierre, elles résistent à la fois par leur élasticité et la cohésion de toutes leurs parties. De loin, on dirait le dos