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du monument, au nom de dame nature, en implantant victorieusement ses racines sur la voûte à demi effondrée de l’abside. À l’intérieur, l’église n’offre pas une vue moins pittoresque. Le sol des trois nefs et du chœur est une surface de sable blanc que le vent redresse en légères éminences ; çà et là germent des touffes de gazon ; quelques plantes se hasardent dans les fentes des murs ; les rayons du soleil descendent comme des flèches à travers les voûtes lézardées et bariolent de leurs lignes parallèles les lourds piliers romans. Des figures bizarres, entremêlées de feuillages, grimacent encore sur tous les chapiteaux de la grande nef, tandis que dans le chœur des sculptures d’un travail très délicat sont éparses au milieu des orties. Des trois ogives qui éclairaient l’abside, une seule est debout et se dresse comme une espèce d’arc-de-triomphe, laissant pénétrer dans l’édifice un flot de lumière, et permettant de voir onduler dans la forêt des couronnes de pins. Telle est cette ruine curieuse arrachée aux sables de la dune. Malheureusement il est à craindre que la déplorable manie des restaurations ne gâte ce beau reste de la civilisation anglo-gasconne et ne le transforme en une mesquine église de style bâtard. Déjà l’un des bas côtés a été décoré de plâtres modernes et d’images dorées, des lierres opulens qui tombaient de la voûte en nappes de verdure ont été soigneusement coupés, plus tard sans doute on jugera convenable d’abattre le pin et les autres arbustes qui contribuent si merveilleusement à la beauté pittoresque de l’édifice.

Si les dunes de Grave et de Soulac, désormais fixées, n’ont plus englouti de villes ni de monumens dans les temps modernes, en revanche la mer n’a cessé d’empiéter sur le continent. Bien que les anciennes cartes de l’embouchure de la Gironde ne puissent nous donner qu’une idée approximative des contours du rivage aux diverses époques, néanmoins la comparaison de tous ces documens semble prouver que, sous l’influence d’une cause inconnue, l’œuvre d’érosion, d’abord assez lente, s’est rapidement accélérée pendant les soixante dernières années, menaçant de transformer, dans un avenir peu éloigné, toute l’économie des passes de la Gironde. L’ingénieur, actuel de la Pointe-de-Grave, M. Robaglia, a retrouvé un vieux rapport, datant probablement de 1740, dans lequel on exprime la crainte que la mer ne pénètre un jour entre le Verdon et Soulac, et que la péninsule de Grave « ne demeure île entourée d’eau. » Cependant les cartes de Cassini et de Belleyme, relevées avec le plus grand soin pendant la révolution française, indiquent une ligne de côtes presque droite, offrant à peine quelques légères endentations là où de nos jours la mer a fait reculer le rivage de plusieurs centaines de mètres. C’est donc principalement pendant le cours de notre siècle que se sont opérées les remarquables modifi-