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trouve la péninsule de Grave proprement dite, massif triangulaire de dunes, offrant environ 4 kilomètres carrés de superficie et se rattachant au plateau des landes de Gascogne par un isthme étroit. Limitée d’un côté par la mer, ailleurs par l’estuaire de la Gironde et par la zone des marais, elle présente en miniature la plus grande analogie de forme avec cette presqu’île de Hollande qu’entourent la Mer du Nord, le Zuyderzée et les polders de Harlem. Vues de la mer, les dunes de Grave, pittoresquement groupées autour d’une grande cime conique haute de 41 mètres, prennent l’aspect d’un hardi promontoire, et l’on pourrait aisément se figurer qu’elles sont le poste avancé d’un pays de montagnes. Une belle forêt de pins, coupée dans tous les sens de garde-feux et de petits chemins de fer, recouvre le massif, et par ses teintes d’un vert sombre contribue à lui donner une apparence de grandeur et de solennité.

Aucune des terres qui bordent l’estuaire de la Gironde n’a, pendant les temps historiques, subi plus de vicissitudes que la péninside de Grave. De récentes découvertes géologiques prouvent même qu’elle s’est à peu près complètement déplacée. Elle occupait la partie de la mer qui forme aujourd’hui la Passe-de-Grave, tandis que le fleuve étalait sa nappe d’eau là où s’élèvent actuellement les dunes boisées du Verdon. Sur la plage qui s’étend des bains du Vieux-Soulac à la Pointe-de-Grave, la mer rejette souvent des couches d’argile exactement semblables à celles que dépose la Gironde; on a même découvert des pieds de vigne attachés encore au sol qui les porta. Enfin M. Robaglia, l’ingénieur actuel de la Pointe-de-Grave, a découvert dans l’argile cachée sous le sable de la plage quelques fossés, des troncs de saules, puis un trou qui semble avoir servi d’abreuvoir et autour duquel étaient empreintes les marques nombreuses de pas d’hommes et de bœufs. Comment s’expliquer la présence de ces couches d’argile, de ces pieds de vigne, de ces troncs de saules, de cet abreuvoir, si ce n’est en acceptant l’hypothèse de M. Robaglia, d’après laquelle le bord actuel de la mer ne serait autre chose que l’ancien rivage de la Gironde ? Ainsi pendant le cours des siècles le système entier, mer, plage, dunes, marais et fleuve, s’est graduellement déplacé. L’Océan n’a cessé de gagner dans la direction de l’est, poussant devant lui les dunes[1], qui refoulaient à leur tour la rive gauche du fleuve, tandis que celui-ci rongeait les collines de sa rive droite. En comparant la forme actuelle de la péninsule à ses anciens contours, on dirait qu’elle a tourné sur sa base comme sur une charnière pour s’incliner constamment vers la droite et décrire avec sa pointe un grand arc de cercle sur la surface de l’estuaire girondin.

  1. Les fourriers de la mer, comme dit énergiquement Montaigne.