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A l’est de Méchers et de Talmont, l’estuaire diminue considérablement en profondeur. Son lit, moins vaste et plus obstrué de bancs de sable, ne donne plus accès qu’à une partie du flot de marée, et l’eau du fleuve devient graduellement de moins en moins saumâtre, puis complètement douce. En même temps les troubles contenus dans le courant du fleuve s’accroissent en proportion et bientôt donnent à la surface entière de la Gironde l’aspect d’un immense lit de boue. C’est principalement sur la ligne sinueuse et changeante, où le flot de marée lutte contre le grand courant des eaux fluviales, qu’on peut se faire une idée de l’énorme quantité de matières en suspension apportées par la Garonne et la Dordogne réunies. Les diverses couches liquides, animées de vitesses différentes et chargées d’impuretés inégalement colorées, tordent les unes autour des autre n leurs longues traînées de boue qui ressemblent à des masses solides, les entre-croisent, les superposent de manière à former à la surface de l’eau jaunâtre des veines et des dessins pareils à ceux du plus beau marbre. De distance en distance, on voit comme des îlots noirâtres couverts de feuilles et de racines, bordés par de légères franges d’écume, apparaître soudain, puis se diviser et se fondre graduellement dans la masse des eaux moins impures qui les environnent. C’est là, peut-on dire, que cesse l’estuaire marin et que commence le fleuve.


IV. — LA PÉNINSULE DE GRAVE.

La Garonne est un fleuve normal, c’est-à-dire que dans la plus grande partie de son cours il empiète sur sa rive droite et délaisse en même temps sa rive gauche. La Gironde n’est pas moins régulière dans ses allures. Sur sa rive occidentale, toutes les chaînes de collines se terminent par des falaises abruptes que l’eau du fleuve force à reculer en rongeant incessamment leur base. Tandis que le flot attaque le pied des promontoires, les eaux de pluie entraînent les couches de terre végétale qui recouvrent la cime, pénètrent dans les interstices des assises calcaires et préludent, par un travail de désagrégation lente, aux écroulemens soudains que déterminent les assauts violens des vagues pendant les jours de tempête. Si l’on doit en croire la légende, c’est ainsi que fut emporté l’ancien village de Gériost, qui s’élevait, dit-on, sur la pointe de Suzac, immédiatement à l’est de la couche de Saint-George; c’est ainsi que récemment encore le pittoresque village de Talmont, situé à l’extrémité d’une presqu’île rocheuse, s’écroulait pierre à pierre dans la Gironde, avant qu’on n’eût entrepris des travaux de défense. Au pied de chacune des falaises qui dominent le cours du fleuve, on peut apercevoir, pendant les heures du reflux, un platin de rochers qui s’avance