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cord unanime des anciennes cartes met hors de doute les changemens remarquables subis par les passes depuis la fin du XVIe siècle sous l’action continuelle des courans, des marées et des tempêtes. En 1752, lorsque Magin dressa la première carte rigoureuse du golfe de Cordouan, la grande passe commençait directement à l’ouest du phare, à l’endroit précis où se trouve aujourd’hui le banc redouté de la Cuivre, passait entre les bancs du Mastelier et de la Mauvaise, actuellement réunis, et vis-à-vis de la Pointe-de-la-Coubre se recourbait vers l’est pour suivre à peu près la même direction que la passe actuelle. En 1767, l’entrée qu’on nommait indifféremment Passe-du-Mastelier, ou bien aussi Passe-des-Saintongeois ou des Anes, avait encore 8 mètres de profondeur à basse mer; en 1800, elle n’offrait guère que de 6 à 7 mètres, et depuis cette époque elle s’est encore oblitérée. D’autres passes, qu’on n’appellerait plus de ce nom à cause du tirant d’eau croissant des navires, se trouvent aussi à une distance plus ou moins grande de leur ancienne position, ou même ont été complètement ensablées. Aux déplacemens des passes correspondent ceux des bancs. La Cuivre, limite extrême du Grand-Banc du côté de la haute mer, se meut lentement dans la direction de Cordouan, tandis que la Mauvaise, plus exposée à l’action des courans, se déplace en sens inverse avec une singulière rapidité. En moins d’un siècle, elle a marché de 5 milles ou de 8 kilomètres vers l’occident. Pour reproduire exactement la distribution des bancs de sable et ne pas induire les pilotes en erreur, la carte sous-marine du golfe de l’embouchure devrait être corrigée soigneusement chaque année.

Au centre de l’archipel des bancs de sable et près du milieu de la ligne idéale qui relierait la côte de Saintonge à celle des landes de Gascogne, se dresse comme un obélisque la fameuse tour de Cordouan, le phare le plus connu et l’un des plus curieux que possède la France. A marée basse, un plateau rocheux s’étend à la base de la tour sur plus d’un kilomètre de large et deux kilomètres de tong. Une chaussée de 260 mètres mène du point d’atterrissement à la porte de l’édifice. Partout ailleurs on ne voit que des assises de rochers noirâtres coupées de fondrières, dans lesquelles l’eau marine laissée par le flot s’étale en lagunes tranquilles ou coule en ruisselets cristallins. La plupart des rochers disparaissent sous une carapace de coquillages pointus qu’on saurait à peine distinguer de la pierre, et qui sont eux-mêmes recouverts de parasites de toute nature. D’autres bancs de l’écueil sont cachés par des lits épais d’algues brunes, dont les vésicules craquent à grand bruit sous les pieds; dans l’eau s’agitent des multitudes d’êtres abandonnés par la marée; un grésillement continuel, provenant de toutes ces myriades de vies,