Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/895

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de 6 millions de francs de produits agricoles. Ce n’est pas là le fait d’un sol stérile. Je ne prétends pas représenter ce pays comme la terre promise de la colonisation : il n’est pas douteux que, pour qui consent à abdiquer sa nationalité, aucune émigration ne saurait valoir celle des États-Unis; mais, pour le colon anglais qui tient à vivre à l’abri de son pavillon, l’ancienne Acadie a de nombreux avantages qui lui sont propres, et qui pourraient même la faire préférer au Canada, toujours offert en première ligne aux hasards d’une invasion américaine.

En attendant que cette émigration s’organise, il est à regretter de ne pas voir au moins les touristes placer plus souvent ce pays sur le programme de leurs voyages. En automne surtout, alors que le feuillage des bois se diapré d’une éclatante variété de couleurs à laquelle nos forêts sont loin d’atteindre, la nature y est d’une incomparable beauté : on dirait, pour me servir de l’heureuse image du poète américain Bryant, on dirait le plus merveilleux coucher de soleil tombé du ciel sur la cime des arbres. Toutefois, pour le voyageur, le grand charme de la Nouvelle-Ecosse sera moins dans le paysage que dans la société. Également éloignée de la raideur britannique et du sans-gêne yankee, sûre de plaire parce qu’elle sait de quel aloi est la bienvenue qu’elle offre à l’étranger, cette société rappelle volontiers la franche hospitalité créole de nos colonies. L’habitant de la Nouvelle-Ecosse néanmoins est Anglais avant tout: il l’est par son dévouement à la métropole, par sa probité commerciale, par son amour des associations, par son goût pour les choses de l’intelligence ; mais en même temps il a su emprunter à l’Américain son voisin une dose suffisante de son esprit d’entreprise, de sa confiance en l’avenir, de son imperturbable assurance dans les revers, voire même de ses innombrables sociétés de tempérance. J’ajouterai qu’il n’en aime pas davantage ce voisin pour cela; aussi, dans la guerre qui divise les États-Unis, ses sympathies se sont-elles dès le début ouvertement déclarées en faveur du sud : tous ses journaux étaient dans ce sens; le refrain nègre de Dixies Land[1], dont le sud a fait un air national, était devenu son chant populaire, et ce fut bien pis encore quand l’affaire du Trent vint piquer au vif sa susceptibilité patriotique. Cette attitude était sans inconvéniens d’ailleurs, car le nombre des Américains établis dans le pays d’une manière permanente est relativement faible, et de plus l’hospitalité traditionnelle dont nous avons parlé n’en était en rien atteinte. On

  1. Dixie’s Land (Terre de Dixie) est un sobriquet sous lequel les Américains des deux partis désignent familièrement les états du sud, en souvenir d’une ligne de démarcation par laquelle le sénateur Dixon proposa, il y a quelques années, de séparer les états libres des états à esclaves.