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estrade, dans un cercueil découvert. Elle était vêtue d’une veste et d’un pantalon de soie rose et placée sur un drap de satin blanc; au cou, elle portait un collier de pièces d’or; ses cheveux, qu’Aurélie avait pris soin d’arranger, étaient garnis de fleurs et pailletés de bandelettes brillantes; son visage, pâli par la mort, avait conservé une expression de fierté et de menace. Au pied de l’estrade était assis le pope, silencieux, entouré de ses autres enfans. Quand l’heure fut venue, il se leva, et, s’approchant de la porte qui donnait sur la cour, il dit :

— C’est maintenant que nous allons mener Kyriaki à sa dernière demeure. Elle a été la consolation de son père; elle a servi de mère à ces enfans que voilà. Vous savez tous avec quel cœur vaillant elle a aimé la Panagia!... Voici également, hommes bulgares, ce que j’ai à vous dire. Il a été écrit qu’il faut pardonner à ceux qui nous frappent; mais ceci aussi a été entendu qu’il n’est point permis qu’on tue les enfans des Bulgares, et il a été écrit ailleurs : Œil pour œil, dent pour dent!...

Un frisson courut dans la foule; elle s’agita avec bruit, et l’on entendit des cris : — Mort aux meurtriers! — Quand le tumulte fut un peu apaisé, le pope reprit :

— Dites à ceux qui sont plus loin et qui n’entendent pas ma voix que cela est bien. Je sais qu’il y en a qui sont venus de pays très éloignés : il y en a de Dilau, de Bergas, de Krasna, d’Arnautkeuï, qui sont en remontant le Danube; il y en a de Kuzudschyk, de Maradin, de Prosena, de Kabacoulak, qui sont en descendant le Danube; il y en a de Schékéré, de Koschovva, de Bozin, de Pisanza, de Karach, qui sont dans les terres en allant du côté de Torlak. Ils ont bien fait de venir. Dites-leur que le pacha a promis que Kyriaki serait vengée. Quand ils seront retournés dans leurs villages, ils devront s’informer de ce qui est arrivé, et je le leur enverrai dire; mais s’ils n’entendent parler de rien, qu’ils reviennent à la ville pour s’informer!... Tous ces villages-là sont des villages de chrétiens : il y a Omankeuï, qui est un village de musulmans, et aussi Masanlar, et aussi Jenikeuï;... mais, si vous comptez bien, ces villages-là sont peu nombreux, et par conséquent, si vous y veillez, on n’égorgera pas vos filles... Que chacun y pourvoie chez soi, afin qu’il ne lui arrive pas comme à moi...

Le pope s’arrêta, pleurant et ne pouvant plus parler. La foule s’agitait de nouveau, et on recommençait à crier : — Qu’on tue les meurtriers !

Lorsqu’on emporta Popovitza de la maison de son père, un grand nombre de femmes se précipitèrent autour d’elle, poussant des cris déchirans, cherchant à arrêter les gens qui portaient le cercueil, et